19 juillet 2005

The Voice # 3

A (re)découvrir d’urgence !!!
Machina II (2000), le premier album ROCK virtuel

A ceux qui seraient un peu frustrés du « calme » qui règne sur le dernier album de Billy Corgan et qui n’ont pas envie d’attendre l’hypothétique venue d’un « Mellon Collie des années 2000 » (qui, entre nous, ne verra sans doute jamais le jour, un tel sommet ne s’atteignant normalement pas deux fois dans une vie d’artiste), nous leur conseillons de s’en retourner vers un fantôme bruyant et errant sur le Web : Machina II/The Friends and Enemies of Modern Music, la dernière œuvre des Pumpkins. Œuvre méconnue par le plus grand nombre, et pour cause : elle n’a jamais été éditée. Virgin Records ayant refusé de la sortir (arguant, paraît-il, qu’elle ne serait pas rentable), Corgan organisa alors sa diffusion gratuite sur Internet en guise de bras d’honneur à son ancienne maison de disques – et aussi en forme de dernier cadeau à ses fans. Mais, bien évidemment, le Net ne peut pas (encore) promouvoir un album aussi bien qu’une sortie dans les bacs.

En fait, Machina II était initialement pensé pour former, avec Machina/The Machines of God, paru, lui, en 2000, un double album. Ils forment au final un « triple album » majeur composé de 40 titres, puisque Corgan a réussi à faire de Machina II un double album virtuel, qui comprend, en plus de l’album initial composé de 14 titres, trois EP* de 11 titres, soit 25 morceaux au total. Ce second opus se révèle nettement plus intéressant que le premier : plus osé, plus débraillé, plus fou, avec un son beaucoup plus brut qu’à l’accoutumée, où l’on sent vraiment les Pumpkins qui se lâchent et s’en donnent à cœur joie, avec de véritables coups de poings comme « Glass’ theme », « Cash Car Star », « Dross », « Blue Skies Bring Tears » (dans sa version rock abrasive), ou encore les redoutables « Soul Power » et « Lucky 13 ».

Rock brutal donc, moins léché qu’à l’ordinaire, plus spontané ; on croirait parfois qu’ils jouent dans leur garage, « à la maison » : ils se disent quelques mots de temps en temps, entre deux morceaux. Chamberlin, le batteur, est au sommet de sa forme, absolument présent sur la plupart des titres. Les guitares sont nerveuses, hargneuses et remplies d’électricité – à l’unisson avec la voix de Corgan. Mais n’allez pas croire pour autant qu’il s’agit là d’un album réservé aux brutes épaisses… Certes, les titres les plus durs n’ont pas le raffinement de leurs homologues des albums précédents, ils n’ont pas leur mélodieuse et belle puissance. Il ne reste souvent que la puissance : mais que ça reste bon…

Le rock sait parfois se faire plus romantique avec « Speed Kills », même si ce n’est pas là le morceau le plus original et le plus inoubliable qui soit… Il sait se faire OVNI amoureux, déboulant à toute allure, nourri du carburant de l’amour, dans « Real Love »… Il se mue en ballade merveilleuse avec « Let Me Give The World To You », où l’on se sent partir dans un tour du monde aérien et heureux, et qui ne semble jamais devoir s’arrêter… Il se fait long voyage intérieur, délicat et douloureux, dans « In My Body »… Il est pure prière, prière aveugle, avec « If There Is A God »… Il est départ dans l’inconnu, aspiration inquiète, avec « Go », chantée par le sombre guitariste James Iha… Il culmine dans l’envoûtement de « Home », qui vous tire par le bout de l’âme et vous mène tout droit jusqu’aux sphères les plus célestes.

Machina II n’est pas, à proprement parler, un chef-d’œuvre, comme pouvait l’être Mellon Collie and The Infinite Sadness, voire Adore et Siamese Dream ; il n’en demeure pas moins un grand album, novateur, sans l’être tout à fait autant que les précédents, un pas de plus vers la musique du futur, et qui n’a pas pris une ride en cinq ans. Il est le complément idéal à The Future Embrace ; il est le chaînon qui manquait à tous ceux qui attendaient plus de puissance, plus de rock, dans le projet solo de Billy Corgan ; il manquait parce qu’on l’avait oublié aussi vite qu’on l’avait découvert, si jamais on l’avait découvert. Fugacité du Net oblige. C’est le moment ou jamais pour le déterrer de sa fosse virtuelle, pour le faire renaître de ses cendres numériques… pour réveiller vos enceintes ! En attendant la suite…

Pour télécharger, c’est par là (et c’est légal…)

* EP : Extended Play : c’est un disque trop court pour etre consideré comme un album, mais trop long pour etre un single (un CD single est composé de trois morceaux au maximum). La deuxième face de Machina II est ainsi composée de trois EP, les deux premiers comptant quatre titres, le dernier trois.


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17 juillet 2005

Qu'est-ce que la psychologie transpersonnelle ?

La psychologie transpersonnelle s’intéresse aux états non ordinaires de conscience : la transe, l'extase, le sentiment de connexion avec l'univers, le mysticisme, etc. Selon elle, ces états, d’ordinaire considérés avec suspicion, seraient non seulement sains, mais représenteraient l’actualisation des besoins supérieurs de l’être humain.

La psychologie transpersonnelle, si elle se réfère au XXe siècle à des penseurs comme Carl Jung, Emmanuel Mounier ou Roberto Assagioli, est véritablement née avec Abraham Maslow et sa célèbre pyramide des besoins humains, qui date de 1943. Besoins physiologiques, de sécurité, de socialisation, d’estime de soi et de réalisation de soi, tels sont les cinq étages de cette pyramide.

Mais après que Maslow eut raffiné le dernier niveau, celui de la réalisation de soi, en y incorporant les notions de « dépassement de soi » et de « transcendance », d’autres penseurs créèrent un sixième niveau distinct au sommet de la pyramide, qu’ils définirent par l'aspiration à vivre des expériences d'unité avec le Cosmos et d'amour inconditionnel envers l'Humanité.

Ce dernier besoin humain correspond, lorsqu’il est réalisé, au dernier niveau de conscience défini par Wilber, dans une hiérarchie qui en comporte sept :

le niveau de l’ombre, le plus bas, correspond à la maladie mentale (l’individu a rejeté dans son inconscient une part de sa personnalité)
le niveau philosophique (l’individu se ressent comme un esprit dans un corps)
le niveau de l’ego (l’individu s’identifie à l’image qu’il a de lui-même)
le niveau biosocial (correspond à la grille de lecture culturelle)
le niveau existentiel (l’identification de l’individu s’opère sur l’organisme psychophysique total ; la différenciation entre soi et autrui commence)
le niveau transpersonnel (correspond aux archétypes, à ce que Jung appelait l’inconscient collectif)
le niveau de l’Esprit, le plus élevé, appelé aussi (œcuménisme, quand tu nous tiens…) Brahman, Tao ou Divinité.

L’Esprit est défini comme ce qui est, sans espace ni temps. Ce stade de développement ultime de la conscience s’apparente à l’éveil ou à l’illumination dont parlent nombre de traditions mystiques.

La psychologie transpersonnelle s’intéresse aux perturbations résultant de l’enfermement des potentiels illimités de la Conscience dans les structures limitées de l’ego. Le travail transpersonnel consiste alors à provoquer chez les individus des états non ordinaires de conscience, appelés aussi expériences paroxystiques. Ces expériences sont destinées à faire éclater les limitations mentales ou émotives et à donner accès à une conscience beaucoup plus vaste de la réalité.

Plusieurs techniques sont utilisées pour y parvenir, comme la méditation, l’hypnose, les danses sacrées, les huttes de sudation, les quêtes de vision, la régression dans les vies antérieures, les rêves et les rêves lucides, les techniques respiratoires et énergétiques venues du yoga ou du Qi Gong, ou encore la respiration holotropique.

Rappelons tout de même que la psychologie transpersonnelle demeure extrêmement marginale, qu’elle n'est pas enseignée dans les facultés universitaires de psychologie et que les ordres professionnels de psychologues ne reconnaissent pas les pratiques qui lui sont associées.

16 juillet 2005

The Voice # 2

Dans l’âme d’une rockstar
Portrait spirituel de Billy Corgan

Le 21 juin dernier est sorti le premier album solo de Billy Corgan, ex-leader des Smashing Pumpkins. Empreint d’une spiritualité évidente, The Future Embrace prolonge son recueil de poèmes, Blinking With Fists, paru à l’automne dernier. Parallèlement à cette actualité déjà chargée, Corgan publie en ce moment même son autobiographie sur son site Internet, intitulée The Confessions of Billy Corgan. Voyage dans l’âme tourmentée d’une rockstar, à travers ses blessures, ses tentatives de guérison, ses croyances et ses espoirs, sa beauté surtout.

Une star à part. Rocker atypique ce Billy Corgan. Alors qu’en 1995, il a trouvé la recette magique du succès le plus phénoménal avec son double album Mellon Collie and The Infinite Sadness – le double album le mieux vendu de l’histoire de la musique –, il enchaîne en 1998 avec un disque ultra-intimiste, Adore, presque à l’opposé de la grandiloquence mégalomaniaque du précédent, là où tout musicien avide de succès aurait répété jusqu’au dégoût la recette initiale. Adore s’avéra, comme il le dit lui-même, un suicide commercial.

Atypique encore, ce rocker capable, comme tout bon rocker qui se respecte, de la plus grande violence (musicale) sur scène, et qui nous sort à l’automne 2004 un recueil de poèmes, Blinking With Fists, et qui va dire ses poèmes sur scène, sur de nombreuses scènes américaines, jusqu’au prestigieux Poetry Center de Chicago, dans sa ville chérie, avec tous les honneurs les plus officiels.

Atypique encore, cette superstar qui dit ouvertement sa haine de l’industrie du disque ; qui, en 2000, est le premier artiste à rendre téléchargeable sa musique gratuitement sur le Net, en l’occurrence Machina II, The Friends and Enemies of Modern Music, le dernier album des Smashing Pumpkins (que Virgin n’avait pas voulu éditer) ; qui a rendu encore intégralement disponible sur son blog son dernier album, The Future Embrace, durant deux semaines, alors même qu’il était en vente (seuls les quatre titres les plus écoutés durant cette période sont encore présents) ; et qui a mis à disposition de tous, depuis le 5 avril 2005, sur la plupart des sites de vente de musique en ligne, l’intégralité des 227 chansons des Pumpkins, les 113 figurant sur leurs albums, plus 114 inédites.

Atypique toujours, cette méga-star qui vient jouer sa musique, à l’improviste ou presque, dans les rues de quelque ville du monde, comme à Paris le 23 avril 2005, lorsqu’il s’est arrêté près d’une heure et demi sur les marches du Sacré Cœur à la rencontre de quelques fans, leur a interprété une nouvelle chanson, une autre de l’époque de Zwan, « Riverview », et a même chanté avec eux un ancien tube de la belle époque de Siamese Dream : « Today ».

L’homme nu. Qu’est-ce qui peut bien faire courir Billy Corgan en ce début de IIIe millénaire ? Comment expliquer son incroyable liberté qui ne souffre aucune compromission, sa générosité et sa sensibilité à fleur de peau, qu’il continue, pour notre plus grand bonheur, à nous faire partager ?

Après avoir connu la gloire, la drogue, les femmes, la désespérance, comme toute rockstar digne de ce nom, Corgan vit aujourd’hui de musique, d’eau pure et d’amour – au sens le plus vaste du mot. De spiritualité. Aux côtés de sa sublime compagne, la photographe d’origine ukrainienne, Yelena Yemchuk, qui a notamment illustré le livret de l’album Adore et le livre de poèmes de son amant, Blinking With Fists.

Corgan vit un moment de totale mise à nu (ou presque) dans sa vie ; la seule pochette de son nouvel album, The Future Embrace, suffit à l’illustrer : on y voit son visage, très pâle, ses épaules nues, et il met en avant les paumes de ses deux mains, notamment celle qui porte les fameuses marques de naissance dont il a si longtemps eu honte dans sa jeunesse. Sur le dos de l’album, on le voit précisément de dos, sa main tachée, violacée, recouvrant l’arrière de son crâne chauve – formidable image. Le livret accompagnant l’album continue dans le même registre : il y met en scène son corps et notamment ses taches, présentes sur tout son bras gauche, comme s’il souhaitait faire de son image une œuvre d’art, mettant dans la lumière la plus crue ce qu’il avait autrefois caché.

Sa peau sur la toile. La mise à nu la plus spectaculaire coïncide cependant avec la publication, chapitre par chapitre, de son autobiographie sur son site Internet, billycorgan.com [site fermé quelques mois après l'écriture de cet article ; le lien mène désormais vers le nouveau site des Smashing Pumpkins] ; après saint Augustin et Jean-Jacques Rousseau, c’est au tour de Billy Corgan de nous livrer ses Confessions. De sa prime enfance à l’époque la plus récente, Billy nous dit tout, il nous promet de tout dire, ne nous cachant pas, en préambule, que c’est un véritable combat qu’il va avoir à livrer contre lui-même. Mais qu’importe. L’important, nous dit-il, c’est qu’à la fin il n’y ait « plus de secrets qui valent la peine d’être gardés, et plus de peurs qui valent la peine d’être préservées. Tout ce qui doit rester, conclut-il, est le cœur clair et une joie vibrante et, bien sûr, la musique. »

Pourquoi une telle démarche ? Corgan nous le dit explicitement : pour détruire « Billy Corgan », c’est-à-dire la créature dont il se dit l’architecte, créature qu’il a tantôt aimée, tantôt crainte, tantôt méprisée au plus haut point ; « Billy Corgan », c’est-à-dire le personnage (« persona », dit-il dans une interview, mot qui renvoie au personnage de théâtre, au masque que celui-ci porte) qu’il a construit pour moitié et que les médias ont construit pour l’autre moitié, et qui lui a de plus en plus échappé. Tout dire pour sortir de cette inauthenticité et cesser d’être défini par les autres. Pour être le seul à dire qui il est réellement. Cette mise à nu et, par là même, cette mise à mort de Billy la rockstar, ne peut passer que par la vérité. Truth, truth, only truth…

Misère un jour, misère toujours. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avant de devenir le nouveau Dieu du rock alternatif, Corgan n’a pas eu l’existence la plus aisée. Tout commence par une enfance perturbée, entre deux parents en guerre et qui en viennent parfois aux mains, tout commence par ce sentiment de ne pas avoir été un enfant désiré, avec un père et une mère s’accusant l’un l’autre d’avoir voulu proposer le petit Billy à l’adoption avant même qu’il soit né. Tout commence par un divorce, entre un père dont Billy cherchera toujours désespérément l’amour et une mère qui échouera bientôt dans un hôpital psychiatrique, tout commence par l’enfance chaotique d’un petit garçon trimbalé d’une famille d’accueil à une autre, loin de l’amour et de la reconnaissance désirés – et qu’il ne retrouvera que bien plus tard.

Corgan insiste beaucoup sur son sentiment de solitude extrême, sur l’impression qu’il a d’être rejeté par les autres, ainsi que sur sa pauvreté matérielle, notamment à l’époque de ses 19 ans, lorsqu’il partit de son Chicago natal vers la Floride pour y monter son premier groupe, The Marked. Il n’hésite pas à raconter que, dans ses moments de grand désespoir, il lui est arrivé de faire la queue pour la soupe populaire avec les clochards. Il nous dit sa vie de squatter sans un sou, ses discussions « métaphysiques » avec les prostituées et les transsexuels sur l’injustice de la vie, tous liés par le fait qu’ils sont perdus. Il nous dit comment d’aucuns le surnomment « l’homme de nulle part », parce qu’il n’est rien et qu’il ne va nulle part, il nous raconte la souffrance qu’il éprouve à ressentir qu’on le regarde comme un raté. Et comment, du fond de son invisibilité, commence à le démanger le désir brûlant d’être considéré comme une véritable personne.

Il évoque bien sûr sa tache de naissance et les remarques des bonnes gens qui ne se lassent pas de lui demander, « avec délicatesse », s’il est malformé ou s’il s’est brûlé ; et comment, de la sorte, il s’interdit de porter des manches courtes, même sous les plus fortes chaleurs. Anecdote. Corgan mêle l’anecdote au plus profond, mais l’un se révèle souvent dans l’autre.

Bref, et puis plus tard ce fut la gloire, les Pumpkins, les millions d’albums, les tournées dans le monde entier, mais la tristesse et le vide intérieur ne le quittèrent guère, apaisés toutefois quelque peu dans la création. C’est au moment où le succès commença à devenir gigantesque que Corgan dit avoir sombré dans une profonde dépression et être devenu suicidaire.

Il nous dit la paradoxale difficulté d’être célèbre : alors qu’il est censé être le plus heureux des hommes, installé sur le sommet du monde – matériellement parlant –, il se sent comme un roi déchu, qui ne règne plus sur son royaume, mais dont le royaume règne au contraire sur lui. Un « rat dans une cage » : voilà sur ce qu’il se sent devenu, pour reprendre une parole de l’une de ses plus fameuses chansons, la redoutable « Bullet With Butterfly Wings » (despite all my rage I am still just a rat in a cage…). Des fans assiègent sa maison, pénètrent même chez lui, certains baisent sur sa pelouse, volent ses poubelles pour en publier le contenu sur Internet, d’autres encore, plein d’humour (n’est-ce pas…), écrasent des citrouilles (pumpkins…) sur son porche, sans parler d’un « fan » bien allumé qui lui écrit des lettres dans lesquelles il raconte que Billy le viole…

Une aide spirituelle. Ce n’est là, bien sûr, qu’un petit aperçu fugace de ces Confessions. On aurait mal à l’âme pour moins que ça. Un mal-être qu’il exprime encore dans une interview récente, accordée au webzine québecois Voir, lors de son passage à Paris le 10 juin : « Je suis moi-même très ennuyeux ! Ce que je vis grâce à la musique n'est absolument pas ennuyeux, mais moi, si tu savais ! Tu peux emmener un gosse à Disneyland, si l'enfant a un problème en lui, sa vie, malgré le super parc d'attractions, restera ennuyeuse. C'est précisément ce que je vis. J'ai de la difficulté à voir les choses. » Pour agir sur ce mauvais rapport à lui-même, sur cette insatisfaction constante, Corgan finit par accepter l’aide d’un thérapeute ; mais surtout, ce sont des amis et quelques mentors qui, selon lui, le mirent en relation avec une spiritualité qu’il avait toujours eue en lui, mais qu’il n’avait jusqu’ici pas développée.

Corgan, avec sa distance et son humour, n’a pas l’âme d’un dogmatique. Pour autant, Dieu est pour lui inévitable, tant il y a de choses qui dépassent son entendement. Il n’y a pas, selon lui, d’accès à Dieu par l’intellect, notre propre conscience venant toujours brouiller la vérité, venant en fait en construire une, biaisée. Dieu n’est sensible qu’au cœur, il ne s’intellectualise pas, selon Corgan, qui, comme il l’écrit à la fin de ses remerciements sur The Future Embrace, ne nous livre jamais que son « humble croyance » : « I dedicate this album to all who believe in the path of love. It’s my humble belief that God has many names but just one face… And it’s to that divine Spirit with a capital « S » that I am grateful for this moment to sing my songs for you… »

Corgan embrasse en fait, comme beaucoup de gens aujourd’hui, dans notre époque de religion à la carte, des éléments du catholicisme, d’autres appartenant au bouddhisme, chacune des religions comportant, selon lui, ses forces et ses faiblesses. Avec cela, il avoue ne pas être très préoccupé des rites. Classique.

Une spiritualité à deux balles ? Ce qui l’est un peu moins, classique, c’est que Corgan est devenu un disciple d’un certain Ken Wilber, qui promeut la Conscience universelle (rien que ça…). Ça sent l’arnaque et le charlatanisme à plein nez, voire… la secte. Corgan le présente lui-même – car cela n’a rien de caché –, comme un de ses amis, « indescriptible » de surcroît. En y regardant de plus près, c’est-à-dire en allant sur le site officiel de ce Ken Wilber, on n’est pas tout à fait rassuré : on est accueilli en pleine page par sa tête, j’allais dire de gourou, plus objectivement par une tête chauve au regard qui vous fixe intensément, tête qu’on dirait sortie d’une soucoupe volante arrivant d’une autre galaxie… mais là, je sens que je vais être taxé, à raison, de délit de sale ou de belle gueule – selon les goûts.

Carrément suspect, le bandeau supérieur qui présente notre ami Wilber de la manière suivante : « Ken Wilber is one of the greatest philosophers of this century and arguably the greatest theoretical psychologist of all time » (signé Roger Walsh, professeur de psychiatrie – si c’est Roger qui le dit…). Ou encore de celle-ci : « Ken Wilber is a national treasure » (signé cette fois Robert Kegan, Harvard Graduate School of Education). En voilà un, au moins, qui n’a pas oublié d’être modeste… Au jeu du culte de la personnalité, il aurait eu toutes ses chances face au champion toutes catégories, un certain Joseph S., qui vivait en Union Soviétique dans un autre siècle…

Toujours sur son site, il n’hésite pas, dans sa galerie photos peuplée d’innombrables portraits de lui qui défilent les uns derrière les autres, à s’exhiber torse nu ou en simple short pour nous faire admirer son corps bien musclé à 50 ans passés. Super Ken ! Curieux quand même sur le site d’un des plus grands philosophes du siècle… Ce qui est sûr, c’est qu’en sortant de son site, on a bien enregistré sa tête dans la nôtre – ce qui est sans doute le but recherché.

Fully AWARE. Corgan, pour revenir à lui, est un collaborateur fréquent au site créé par Wilber, Integral Naked, qui se veut une ouverture multimédia au monde de la conscience intégrale, comprenant des conversations avec d’illustres professeurs, « the most influential, provocative, and important thinkers and leaders in the world » (là encore, on ne fait pas dans la demi-mesure…) ; mais comprenant aussi des performances d’artistes d’avant-garde (est-il dit), au travers de lectures, de concerts, etc. Dans ce cadre, Billy Corgan a joué en duo aux côtés de la chanteuse tibétaine Yungchen Lhamo, le 23 octobre 2004, accomplissant, selon le site, une sorte d’union karmique divine

Parmi les nombreuses personnalités membres d’Integral Naked, citons l’écrivain Michael Crichton, célèbre auteur de Jurassic Park, le chanteur Saul Williams, ou encore les deux apologistes pré-cités : Roger Walsh et Robert Kegan. Le but affiché de cette communauté est de rendre les gens « fully aware in today’s world » (non, non, Jean-Claude Van Damme n’est pas membre… à moins qu’il ne soit un ancien membre qui a mal tourné…).

Plus sérieusement, quelle est, en gros, la doctrine de Wilber ? (car il n’est pas essentiellement body-builder, ni webmaster…) Ken Wilber est aujourd’hui le principal théoricien d’un mouvement qu’on appelle la psychologie transpersonnelle et propose une philosophie globale du monde et de l’homme en son sein. Le titre d’un de ses livres les plus connus illustre cette ambition : il s’agit d’Une brève histoire de tout. Tout y passe : la science, la philosophie, la méditation, les droits de l’homme, l’histoire, l’écologie, la psychologie. Wilber y promeut une vision de l’univers comme entité sacrée et considère son évolution comme la manifestation de l’Esprit qui se révèle, de la matière à la vie de l’esprit, jusqu’aux niveaux de développement spirituel les plus élevés, lorsque l’Esprit devient conscient de lui-même.

Un joli pot-pourri. Pour mener à bien son projet, il emprunte à toutes les traditions spirituelles, d’orient comme d’occident, considérant qu’au lieu de se demander qui a tort, on ferait mieux de considérer que toutes disent une part de vérité (diplomate le Ken…). Comme il l’écrit lui-même, « l’univers est si grand qu’il y a suffisamment de place pour Freud et Bouddha. »

Qu’a retenu Corgan de tout le fatras métaphysico-philosophico-psychologico-mystico-mégalo-wilbérien ? Lui seul le sait. En tout cas, si le délire spiritualiste de Wilber peut paraître pour le moins douteux, sa pensée n’est pas dénuée de tout intérêt de sagesse pratique, comme certains aphorismes de son ouvrage No Boundary [Pas de frontière], datant de 1979, peuvent en attester. Morceaux choisis :

« Notre jugement construit chaque jour des opposés dans la nature. Elle, elle ne s’en inquiète pas. La nature ne fait pas d’angoisse. »
« En construisant des frontières, nous créons des opposés. Un monde d’opposés est un monde de conflits. »
« La réalité est simplement une union d’opposés. D’ailleurs, ce que nous croyons opposés est simplement différents aspects d’une même réalité. Une vague est une crête, mais aussi un creux. »
« La libération, c’est se libérer des opposés et du conflit et non se libérer de la partie négative. »
« En cherchant le Moi séparé, vous constaterez qu’il n’existe pas. »
« L’éternité ne se trouve pas dans une heure ou demain, elle est toujours maintenant. »
« Notre misère provient du fait que nous n’habitons pas le présent. »
« Accepter les fonctions volontaires et involontaires du corps permet de ne plus se sentir victime de celui-ci. »
« Etre le témoin de sa peur, de ses émotions, de sa douleur nous libèrent de celles-ci. Etre témoin, c’est transcender. »
« Il n’y a pas de moyen pour atteindre l’illumination, nous l’avons déjà. Nous résistons inconsciemment à l’éternelle conscience. »

Rien de très neuf là-dedans, c’est du ressassé plus ou moins bien digéré de bouddhisme, essentiellement, mais aussi de stoïcisme, qu’on pourrait imaginer saupoudré d’un peu de Montaigne, tout cela à la sauce californienne. Pensée de l’acceptation du monde et de soi, de la dissolution de toutes les frontières, pensée de l’union, et même de la fusion, qui désamorce – en théorie – tous les conflits possibles.

Le sixième sens. Corgan déclare que l’enseignement de Wilber a un impact direct sur lui aujourd’hui. Mais, au nom de Wilber, il faut en ajouter un second, celui d’un autre mentor ; il s’agit cette fois d’une femme : elle s’appelle Sonia Choquette. Son nom est même mentionné à la fin de l’album The Future Embrace, dans la longue liste des personnes remerciées. C’est en 2002 que Corgan a fait sa connaissance et qu’il s’est mis à fréquenter ses ateliers.

Sur son site, on apprend qu’il s’agit d’une « médium révolutionnaire » et d’une guérisseuse, alchimiste de surcroît. Elle nous invite à développer notre sixième sens, qui est un don que nous possédons tous pour accéder à une conscience supérieure, et qui est notre lien le plus direct avec Dieu. Il est précisé que Choquette se tient à distance de tout discours théorique pour se concentrer sur la seule pratique… c’est bien commode quand on raconte de telles âneries ; autant ne pas y penser trop sérieusement… La devise de Sonia : « Trust Your Vibes ». Yeah !

Qu’est-ce notre sympathique illuminée a enseigné à notre rockstar en quête de spiritualité ? « Ce que j’ai appris à Billy, et ce que j’enseigne à tout le monde, c’est que nous sommes fondamentalement esprit et que l’esprit nous parle directement à travers notre intuition, notre sixième sens », explique Choquette. « Nous sommes naturellement dotés d’une voix intérieure qui est sacrée. » Elle a conseillé à Corgan de cultiver une relation avec cette voix et de vivre sa vie en se basant sur cette intégrité intérieure. Si le fond mystique de Choquette frise, comme celui de Wilber, le ridicule, l’aspect pratique de sa doctrine ne semble pas bien dangereux et paraît même assez positif ; il s’agit, en gros, d’être à l’écoute de soi-même et d’être fidèle à cette écoute, et de ne pas se laisser disperser par des troubles extérieurs.

Sur la voie de la sagesse. De ce travail spirituel, Corgan dit avoir tiré d’abord une plus grande indulgence envers lui-même. Ainsi, s’il continue de prier Dieu pour lui demander de pardonner son imperfection, il le fait aujourd’hui avec un sourire sur son visage. Et s’il continue de se sentir souvent irrité, triste ou seul, il a aussi appris à accepter la part de souffrance que comporte inévitablement la vie.

La spiritualité a ensuite ouvert Corgan à la compassion envers les autres, qu’il avait par le passé tendance à juger. « Ce n’est pas bon de dire à d’autres, vous êtes gros, vous êtes stupides, vous êtes le pire que l’Amérique a à offrir », déclare Corgan dans le mensuel américain Conscious Choice. « Tu ne peux pas aider les gens tant que tu ne comprends pas pourquoi ils pensent ce qu’ils pensent. A la minute où tu penses que tu es meilleur qu’un autre, tu t’égares. » Comprendre au lieu de juger : éthique de Spinoza. Et ne jamais oublier de considérer la poutre qu’on a dans son œil avant de pointer du doigt la brindille qu’un autre a dans le sien : morale de Jésus.

Corgan n’hésite pas à prier quotidiennement pour les autres, à sa manière, simple et libre : « Tu peux introduire la prière dans ta vie en souhaitant du bien à des gens dont tu vois qu’ils ont passé une rude journée. Tu peux leur envoyer de la bonne énergie. Il n’y a besoin d’aucun échange », dit-il. « Je prie et c’est assez simple. Il n’y a aucune structure. »

Corgan en mission. Non content de s’améliorer lui-même, Corgan souhaite contribuer à améliorer le monde. Lui qui, gamin, pensait que l’on pouvait changer le monde avec une chanson, n’a pas renoncé complètement à cette belle naïveté. Sonia Choquette appelle Corgan une « âme mondiale », car, à travers sa musique, il est connecté aux âmes d’une multitude de gens ; elle ajoute qu’« être une âme mondiale implique une grande responsabilité », et que Corgan le sait. Et d’ajouter : « Son développement spirituel personnel contribue à celui de tout le monde. » La mission de Corgan n’est rien moins que de contribuer à faire naître la conscience collective. Il veut motiver les gens qu’il touche à provoquer des changements positifs dans leurs aires d’action respectives.

Par exemple, le problème de l’environnement. Pour Corgan, se battre pour un meilleur environnement signifie d’abord élever le niveau de conscience du public jusqu’à ce que chacun réalise qu’un changement doit advenir. Ainsi, alors même qu’il confesse conduire une automobile assez polluante, il demande : « Savais-tu que l’armée américaine consommait 12 millions de barils d’essence en Irak chaque jour ? » Et d’ajouter : « Si je peux élever le niveau de conscience de 100 personnes qui vont faire 100 000 meilleurs choix, mon énergie est mieux employée qu’en m’en demandant s’il faut ou non conduire une voiture hybride. » C’est mathématique, en effet.

Corgan se montre finalement assez optimiste pour l’avenir. Il croit que la société évolue vers une conscience collective plus profonde, tout comme la conscience individuelle s’approfondit. Et il se risque même à une prédiction : « Si tu te projetais dans 100 ans, tu verrais que nous serions sur un meilleur chemin. Notre attention sera alors plus globale. Les gens ne mourront plus de faim. Mais dans le même temps, nous aurons à traverser un terrible trouble, qui viendra avec la mort d’une ancienne conscience. »

Même s’il doute de vivre suffisamment longtemps pour voir l’avènement de ce nouvel âge, il est convaincu que nous vivons « a very unique time » et que la fameuse conscience planétaire est en marche. En attendant, Billy s’efforce de ne manger que des aliments produits à l’aide d’engrais organiques et s’est mis au yoga, même s’il reconnaît être un peu fainéant pour entretenir une pratique régulière. On change le monde comme on peut… à son rythme.

L’homme qui chantait à l’oreille de Dieu. S’il est un domaine où la spiritualité de Corgan a toujours été présente, c’est dans sa musique, qu’elle ait été explicite ou non. Joe Shanahan est le propriétaire du Chicago Metro, la salle de concert dans laquelle a commencé et s’est achevée la carrière des Smashing Pumpkins. Selon le bonhomme, Corgan s’adresse toujours à Dieu quand il joue de sa guitare ou du piano. « Quand il joue, c’est le plus pur moment de spiritualité », raconte-t-il. « Tu peux le sentir, tu peux le voir, il est en contact avec Dieu. » Quiconque a eu la chance de voir les Pumpkins en concert ne peut qu’attester cette émotion et cette pureté extrêmes. Quant à savoir s’il s’adresse à Dieu…

Dans The Future Embrace, Dieu est explicitement nommé dans trois titres, en particulier dans « I’m Ready » qui, soit dit en passant, est le plus mauvais morceau de l’album ; comme quoi, une spiritualité trop explicite et lourde tue parfois toute beauté… Mais dans de nombreux titres, Corgan s’adresse à un « you » dont on ne sait pas précisément qui il est : le public, une femme aimée, l’Amour… Dieu ? Dans « Walking Shade », il dit : « I just want you so/you’re everything I’m told… » ; ce peut être Dieu… Dans « Mina Loy (M.O.H.) », il demande et supplie même : « Can I give my old heart TO YOU » ; Dieu encore ? Et puis dans « A 100 » : « YOU ARE LOVE/YOU ARE SOUL/YOU ARE REAL TO ME », et plus loin : « YOU ARE LOVE/YOU ARE SOUL/YOU ARE TEARS/YOU I KNOW », et enfin : « YOU ARE LOVE/YOU ARE REAL/YOU ARE SOUL/YOU I FEEL/stay with me just a little more… » : le destinataire ne semble guère être une femme ; là encore, Dieu semble plus probable.

« Pretty, pretty STAR » paraît clairement adressée à Dieu ou, en tout cas, à la petite voix intérieure dont parle Sonia Choquette. Toute la chanson pourrait être citée ; Corgan y chante notamment : « Every time I start/reachin’ out to find you/loneliness abounds/pretty, pretty STAR/only you remind me/that only you can find me, in you/in all I choose… », ou encore : « Show me/there’s no other/tell me/I’m your lover/make me/wonder who you are to stay/finish/what you started/vainquish/your departed/others/wiltin’ in the shade/can I ask where you are tonight ? » Quant au dernier titre, « Strayz », il semble encore adressé indifféremment à Dieu, à son intégrité intérieure, à nous tous, car toutes ces entités se confondent plus ou moins (souvenez-vous de Ken Wilber : no boundary…) ou, au minimum, peuvent correspondre intimement. « You know I’m true/I wasn’t born to follow/you are what you are to me… », susurre ici Billy…

Ce n’est pas la première fois que Corgan interpelle Dieu dans une chanson ; souvenons-nous de « Bullet With Butterfly Wings » en 1995 dans Mellon Collie and The Infinite Sadness : « Tell me I’m the only one/tell me there’s no other one/jesus was the only son/tell me I’m the chosen one/jesus was the only son for you… » Mais c’était alors sur un ton autrement enragé et ce n’était pas un susurrement qui était adressé à Dieu, mais bien un hurlement féroce.

La voix de l’âme. Mais le plus important n’est pas de savoir si Dieu est visé ou pas dans ces textes ; car la spiritualité ne se réduit heureusement pas à Dieu ; le plus important, c’est cette vibration d’âme à âme, d’un cœur à un autre, et cette vibration, présente dès les débuts des Pumpkins en 1988, vit toujours en 2005 à travers Billy Corgan.

Illustration de l’engagement total de celui-ci dans ses compositions : l’enregistrement, en 1997, du titre « Shame », pour l’album Adore. Corgan nous narre ce moment dans ces Confessions : « Je suis en train de chanter pour ma vie, mon être est tellement à vif maintenant que la chair de poule couvre mon corps tout entier… c’est la peur et l’extase mélées ensemble, et cela m’engloutit… je vais chercher chaque mot comme une prière… » La spiritualité, c’est ça : mettre sa peau sur la table (comme disait Céline), créer à partir du plus profond de son âme et de ses entrailles, extase ou peur qu’importe, ou les deux à la fois, prier, c’est-à-dire être vrai, méprisant les risques, se jeter corps et âme dans la vie, le cœur battant, prier, pour oser être vrai, faire un sacrilège salvateur sur soi-même, en s’ouvrant le cœur, et le mettre au contact du vent battant, pour sauver la vie qui s’en va.


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05 juillet 2005

Qui est Billy Corgan ?

William Patrick Corgan
Né le 17 mars 1967 à Elk Grove (banlieue de Chicago).
Auteur, compositeur, interprète, guitariste.

Premier groupe : The Marked en 1986.

Co-fondateur des Smashing Pumpkins avec le guitariste James Iha en 1987-88.
Autres membres du groupe : D’Arcy Wretsky (bassiste) et Jimmy Chamberlin (batteur).


Albums :

  • Gish (1991)
  • Siamese Dream (1993)
  • Piesces Iscariot (1994) [faces-B]
  • Mellon Collie and The Infinite Sadness (1995)
  • The Aeroplane Flies High (1995) [coffret]
  • Adore (1998)
  • Machina/The Machines of God (2000)
  • Machina II/The Friends and Enemies of Modern Music (2000) [sur le Net]

Principaux tubes : "I Am One", "Cherub Rock", "Today", "Disarm", "Tonight, tonight", "Zero", "Bullet With Butterfly Wings", "Thirty-Three", "1979", "Ava Adore", "The Everlasting Gaze".
Séparation des Smashing Pumpkins en 2000.

A composé pour des bandes originales de films : "Eye" pour Lost Highway de David Lynch et "The End Is The Beginning Is The End" pour Batman and Robin.

Membre du groupe Zwan entre 2001 et 2003, avec Jimmy Chamberlin, Paz Lenchantin, David Pajo et Matt Sweeney.
Un album : Mary Star of the Sea (2003).

Publication d’un recueil de poèmes : Blinking With Fists (2004).
Publication de son autobiographie sur son site billycorgan.com : The Confessions of Billy Corgan (2005).
Premier album solo : The Future Embrace (2005).

02 juillet 2005

The Voice # 1

The Future Embrace,
ou le futur du rock selon Billy Corgan

Cinq ans après la fin des Smashing Pumpkins, deux ans après celle de son éphémère formation, Zwan, Billy Corgan nous revient avec son premier album solo. Un renouveau musical évident, mais qui pourrait laisser une part importante de son public perplexe et distante. Dommage. Les fins gourmets, eux, ne laisseront pas passer ce plaisir et s’en lèchent déjà les babines.


Un grand album se reconnaît, entre autres choses, à ce qu’il devient meilleur d’écoutes en écoutes, au lieu qu’un album médiocre pourra séduire d’emblée, tel un bonbon bien sucré, mais finira assez vite par lasser, voire par écoeurer. The Future Embrace se range résolument dans la première catégorie. Corgan lui-même reconnaît que son CD se révèle très difficile d’approche et que cinq ou six écoutes ne sont pas de trop pour commencer à rentrer vraiment dans l’univers qu’il propose. Cinq ou six écoutes notamment pour se défaire de nos attentes, pour essayer d’oublier les Smashing Pumpkins et apprécier l’œuvre qu’on a dans les oreilles pour elle-même, sans interférences, sans le retour de vieux fantômes, certes beaux, mais ici gênants.

Ceux qui, justement, attendaient le plus ce premier opus solo de Billy Corgan étaient les fans du groupe mythique dont ce dernier fut le leader incontesté : les Smashing Pumpkins. Plus grand groupe rock du monde des années 90, succédant à Nirvana et annonçant Radiohead, les Pumpkins périclitent en 2000, après une dizaine d’années de gloire planétaire. Les fans du quatuor de Chicago ne seront sans doute pas unanimes à soutenir cette nouvelle direction dans laquelle s’est engagée leur idole. Plus de grosse batterie, plus de guitares criantes ni de basse, mais en lieu et place : la batterie électronique de Matt Walker, des claviers et un DJ (Brian Liesegang)… Il ne reste plus que les multiples guitares de Billy – ici bien plus sages – pour nous rappeler qu’il s’agit bien de rock.

Corgan présente lui-même The Future Embrace comme un album d’espoir ; et, de fait, il n’a plus ni la rage et la mélancolie de l’immense Mellon Collie and The Infinite Sadness, ni la noire beauté de Adore, l’autre chef-d’œuvre de Corgan. Il est constamment question d’amour. Et encore d’amour. L’album s’ouvre avec « All Things Change », morceau aérien, héraclitéen pourrait-on dire, qui nous plonge dans le devenir universel et l’incertitude qui lui est consubstantielle, mais d’un optimisme serein, et qui se finit par la répétition joyeuse de cette phrase : « We can change the world ».

Et puis, c’est « Mina Loy (M.O.H.) » : montée en puissance, le rythme s’accélère, la guitare furieuse de Billy pointe le bout de son nez, et c’est parti pour près de quatre minutes de bonheur et de rock efficace. « Can I give my old heart to you », scande notre divin chauve dans cette chanson fort entraînante, que beaucoup ont déjà élue comme étant LE tube de cet album.

« The Camera Eye » est une très heureuse surprise. « Listen, listen… » : c’est sur ces mots que commence le morceau. Et nous ne pouvons qu’être ici tout ouïe : bel air de guitare sombre et sensuel, sur lequel la voix de Billy, pleine d’entrain, fait merveille, rythme assez dansant et jolies nuances. L’un des points culminants de l’album. Tout cela est donc bien sympa. On dit merci qui ? Merci Billy !

Le quatrième titre de l’album est une reprise des Bee Gees, il s’appelle « To Love Somebody » et Robert Smith, leader des Cure, accompagne Billy dans le refrain : « You don’t know what it’s like/you don’t know what it’s like/to love somebody, to love somebody/the way I love you… » C’est simple, certes. Mais même s’il n’y a là rien d’absolument transcendant, ne boudons pas pour autant notre plaisir devant ce cri d’amour admirable et intense. Et la réunion de ces deux monstres sacrés du rock : Corgan and Smith.

Son lourd et percutant, et ambiance assez chaude, pour ouvrir « A100 » : « Stay with me just a little/lay with me just a little… » Puis relâchement mélodieux fort agréable, comme une délivrance. Alternance par la suite de ces deux types d’atmosphère. Morceau étrange, très électro, à faire frémir un ancien fan des Pumpkins… et qui, certainement, ne fera pas consensus… mais qui a dit qu’il fallait le faire ?

« DIA » : morceau très attendu, car Jimmy Chamberlin, l’ancien compère de Corgan chez les Pumpkins, son frère musical, y est présent derrière la batterie. Celui-ci n’a pas vraiment l’occasion de se mettre en évidence, dans ce morceau sans grandes nuances, qui manque un peu de créativité. La musique est néanmoins agréable. C'est rythmé, enlevé, ça bouge, les violons d’Emilie Autumn viennent même en renfort pour essayer de nous porter ; mais quelques réminiscences des Pumpkins nous reviennent encore, et nous ne pouvons manquer d’être un peu déçus par ce que nos deux bougres nous offrent là.

« Now (and Then) » est le morceau suivant, très calme, un peu planant. Dommage qu'on ne soit pas un peu plus énervé avant d'en venir déjà à une telle accalmie. Un petit crissement de guitare nous plonge (trop peu de temps) dans une ambiance qu'on aime bien, intense. En fait, il est difficile d'avoir une opinion claire sur ce morceau : on pourra dire à un moment que c'est beau, à un autre que c'est lassant, un peu répétitif, les plus mauvaises langues diront que c’est chiant.

S’il y a une vraie fausse note dans cet album, elle se trouve ici : « I’m Ready » n’est pas loin d’être une pure horreur. Des paroles mièvres et bêtes, une musique sans intérêt et même agaçante : on a le droit de se boucher les oreilles durant le temps de ce morceau à peu près inaudible. « I’m Ready » ? Nous, on n'est carrément pas prêts pour ça. On a envie de dire : mais pourquoi Billy ? pourquoi ? WHY ? Sommes-nous trop sévères avec ce titre ? En tout cas, vivement qu'il s'arrête.

Alors juste après, c'est « Walking Shade », le premier single qui fut disponible sur le Net. Sans doute le morceau qui s’éloigne le moins de l’univers connu de Billy Corgan et de la dernière période des Pumpkins. C'est le type de morceau qui plaît tout de suite, séduisant, sucré... mais qui, peut-être, ne séduira pas éternellement, qui s'usera assez vite. Qui vivra verra… Probablement le moment le plus « punchy » de l'album. C'est donc fort bon, même si on a du mal à sauter au plafond ou à s'accrocher aux rideaux.

« Sorrows (in blue) » nous plonge durant 2 minutes 48 dans une atmosphère bien particulière, quasi onirique, mêlant habilement espoir et trouble, bien « dark » et bizarre. On ne sait pas bien sur quel pied danser… et finalement on sombre doucement dans le trouble de Billy.

Réveil en douceur gaie avec « Pretty, pretty STAR ». Déroutant au premier abord, cet air naïvement enjoué, qu’on dirait chanté par un automate, est finalement assez prenant. Avec le surgissement des guitares dans la deuxième moitié du morceau, comme un fond sonore irréel, comme un chant de sirènes, et Billy qui se lâche enfin un peu, l’espace d’une seconde (juste assez pour nous faire regretter qu’il ne le fasse pas davantage), on vit un moment musical assez étonnant mais plaisant.

L'album se conclut sur une chanson sans fioriture, « Strayz », où Billy chante très doucement, très délicatement. Parfois, c’est presque chuchoté. Il nous répète : « You know I'm true ». On veut bien le croire. Enfin du dépouillé et de l’émotion pure. La chanson est belle, elle est assez convaincante. Et si c’était lui LE titre de l’album ? Le moins ronflant, le plus discret, le plus nu, le plus vrai.

L'album est assez court : 45 minutes. Et il ne fera s'enflammer, à proprement parler, personne. Les aficionados du Billy Corgan des nineties ne pourront manquer de rester sur leur faim. A aucun moment, en effet, ils ne retrouveront l’extrême puissance qui les faisait sortir d’eux-mêmes, avec ces murs du son inouïs à la guitare, cette batterie tellement géniale et ces hurlements corganiens inoubliables ; à aucun moment ils n’auront plus droit à ce régal qui donne à la vie une autre dimension, insensée. The Future Embrace n'est pas Mellon Collie... mais cela a déjà été fait il y a dix ans. Billy innove, tâtonne un peu, il déconcerte sans doute bon nombre de ses fans. A ces derniers, nous conseillons pourtant de laisser tomber leurs préjugés et leurs attentes surannées, voulant toujours que le même revienne, et qu’ils laissent ces nouvelles créations investir leur âme. Sans doute finiront-elles par leur plaire, même si la ou les premières écoutes pourront peut-être leur donner l’impression de tomber de haut. The Future Embrace se révèle, au final, en dépit de ses imperfections et de ses quelques creux, un album magnifique.

Au terme de cette critique plutôt favorable, nous ne pouvons nous empêcher de laisser parler un peu nos tripes de vieux fans. Trop de retenue : c’est le reproche essentiel que l’on fera à Billy Corgan sur cet album. Car malgré tous nos efforts et nos écoutes répétées, nous n’avons pas pu complètement oublier le passé, et certains souvenirs n’ont cessé de nous démanger. Pour le prochain album, Billy, on t’en supplie, lâche les chevaux, les guitares, ramène Jimmy Chamberlin derrière cette foutue batterie, hurle et sois doux (comme dans « Strayz »), conserve éventuellement l’inspiration de « Mina Loy (M.O.H.) » ou de « The Camera Eye », voire de « Pretty, pretty STAR ». Mais au diable cette mièvrerie qui culmine dans « I’m Ready » et qui est une véritable insulte à ton talent !

Avec cet album, Billy Corgan est loin d’avoir éteint tous nos espoirs ; plus que jamais, il les a ravivés, excités. Nous rêvons tous du Mellon Collie des années 2000 ; espérons que c’est aussi le rêve de Billy…


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