02 juillet 2005

The Voice # 1

The Future Embrace,
ou le futur du rock selon Billy Corgan

Cinq ans après la fin des Smashing Pumpkins, deux ans après celle de son éphémère formation, Zwan, Billy Corgan nous revient avec son premier album solo. Un renouveau musical évident, mais qui pourrait laisser une part importante de son public perplexe et distante. Dommage. Les fins gourmets, eux, ne laisseront pas passer ce plaisir et s’en lèchent déjà les babines.


Un grand album se reconnaît, entre autres choses, à ce qu’il devient meilleur d’écoutes en écoutes, au lieu qu’un album médiocre pourra séduire d’emblée, tel un bonbon bien sucré, mais finira assez vite par lasser, voire par écoeurer. The Future Embrace se range résolument dans la première catégorie. Corgan lui-même reconnaît que son CD se révèle très difficile d’approche et que cinq ou six écoutes ne sont pas de trop pour commencer à rentrer vraiment dans l’univers qu’il propose. Cinq ou six écoutes notamment pour se défaire de nos attentes, pour essayer d’oublier les Smashing Pumpkins et apprécier l’œuvre qu’on a dans les oreilles pour elle-même, sans interférences, sans le retour de vieux fantômes, certes beaux, mais ici gênants.

Ceux qui, justement, attendaient le plus ce premier opus solo de Billy Corgan étaient les fans du groupe mythique dont ce dernier fut le leader incontesté : les Smashing Pumpkins. Plus grand groupe rock du monde des années 90, succédant à Nirvana et annonçant Radiohead, les Pumpkins périclitent en 2000, après une dizaine d’années de gloire planétaire. Les fans du quatuor de Chicago ne seront sans doute pas unanimes à soutenir cette nouvelle direction dans laquelle s’est engagée leur idole. Plus de grosse batterie, plus de guitares criantes ni de basse, mais en lieu et place : la batterie électronique de Matt Walker, des claviers et un DJ (Brian Liesegang)… Il ne reste plus que les multiples guitares de Billy – ici bien plus sages – pour nous rappeler qu’il s’agit bien de rock.

Corgan présente lui-même The Future Embrace comme un album d’espoir ; et, de fait, il n’a plus ni la rage et la mélancolie de l’immense Mellon Collie and The Infinite Sadness, ni la noire beauté de Adore, l’autre chef-d’œuvre de Corgan. Il est constamment question d’amour. Et encore d’amour. L’album s’ouvre avec « All Things Change », morceau aérien, héraclitéen pourrait-on dire, qui nous plonge dans le devenir universel et l’incertitude qui lui est consubstantielle, mais d’un optimisme serein, et qui se finit par la répétition joyeuse de cette phrase : « We can change the world ».

Et puis, c’est « Mina Loy (M.O.H.) » : montée en puissance, le rythme s’accélère, la guitare furieuse de Billy pointe le bout de son nez, et c’est parti pour près de quatre minutes de bonheur et de rock efficace. « Can I give my old heart to you », scande notre divin chauve dans cette chanson fort entraînante, que beaucoup ont déjà élue comme étant LE tube de cet album.

« The Camera Eye » est une très heureuse surprise. « Listen, listen… » : c’est sur ces mots que commence le morceau. Et nous ne pouvons qu’être ici tout ouïe : bel air de guitare sombre et sensuel, sur lequel la voix de Billy, pleine d’entrain, fait merveille, rythme assez dansant et jolies nuances. L’un des points culminants de l’album. Tout cela est donc bien sympa. On dit merci qui ? Merci Billy !

Le quatrième titre de l’album est une reprise des Bee Gees, il s’appelle « To Love Somebody » et Robert Smith, leader des Cure, accompagne Billy dans le refrain : « You don’t know what it’s like/you don’t know what it’s like/to love somebody, to love somebody/the way I love you… » C’est simple, certes. Mais même s’il n’y a là rien d’absolument transcendant, ne boudons pas pour autant notre plaisir devant ce cri d’amour admirable et intense. Et la réunion de ces deux monstres sacrés du rock : Corgan and Smith.

Son lourd et percutant, et ambiance assez chaude, pour ouvrir « A100 » : « Stay with me just a little/lay with me just a little… » Puis relâchement mélodieux fort agréable, comme une délivrance. Alternance par la suite de ces deux types d’atmosphère. Morceau étrange, très électro, à faire frémir un ancien fan des Pumpkins… et qui, certainement, ne fera pas consensus… mais qui a dit qu’il fallait le faire ?

« DIA » : morceau très attendu, car Jimmy Chamberlin, l’ancien compère de Corgan chez les Pumpkins, son frère musical, y est présent derrière la batterie. Celui-ci n’a pas vraiment l’occasion de se mettre en évidence, dans ce morceau sans grandes nuances, qui manque un peu de créativité. La musique est néanmoins agréable. C'est rythmé, enlevé, ça bouge, les violons d’Emilie Autumn viennent même en renfort pour essayer de nous porter ; mais quelques réminiscences des Pumpkins nous reviennent encore, et nous ne pouvons manquer d’être un peu déçus par ce que nos deux bougres nous offrent là.

« Now (and Then) » est le morceau suivant, très calme, un peu planant. Dommage qu'on ne soit pas un peu plus énervé avant d'en venir déjà à une telle accalmie. Un petit crissement de guitare nous plonge (trop peu de temps) dans une ambiance qu'on aime bien, intense. En fait, il est difficile d'avoir une opinion claire sur ce morceau : on pourra dire à un moment que c'est beau, à un autre que c'est lassant, un peu répétitif, les plus mauvaises langues diront que c’est chiant.

S’il y a une vraie fausse note dans cet album, elle se trouve ici : « I’m Ready » n’est pas loin d’être une pure horreur. Des paroles mièvres et bêtes, une musique sans intérêt et même agaçante : on a le droit de se boucher les oreilles durant le temps de ce morceau à peu près inaudible. « I’m Ready » ? Nous, on n'est carrément pas prêts pour ça. On a envie de dire : mais pourquoi Billy ? pourquoi ? WHY ? Sommes-nous trop sévères avec ce titre ? En tout cas, vivement qu'il s'arrête.

Alors juste après, c'est « Walking Shade », le premier single qui fut disponible sur le Net. Sans doute le morceau qui s’éloigne le moins de l’univers connu de Billy Corgan et de la dernière période des Pumpkins. C'est le type de morceau qui plaît tout de suite, séduisant, sucré... mais qui, peut-être, ne séduira pas éternellement, qui s'usera assez vite. Qui vivra verra… Probablement le moment le plus « punchy » de l'album. C'est donc fort bon, même si on a du mal à sauter au plafond ou à s'accrocher aux rideaux.

« Sorrows (in blue) » nous plonge durant 2 minutes 48 dans une atmosphère bien particulière, quasi onirique, mêlant habilement espoir et trouble, bien « dark » et bizarre. On ne sait pas bien sur quel pied danser… et finalement on sombre doucement dans le trouble de Billy.

Réveil en douceur gaie avec « Pretty, pretty STAR ». Déroutant au premier abord, cet air naïvement enjoué, qu’on dirait chanté par un automate, est finalement assez prenant. Avec le surgissement des guitares dans la deuxième moitié du morceau, comme un fond sonore irréel, comme un chant de sirènes, et Billy qui se lâche enfin un peu, l’espace d’une seconde (juste assez pour nous faire regretter qu’il ne le fasse pas davantage), on vit un moment musical assez étonnant mais plaisant.

L'album se conclut sur une chanson sans fioriture, « Strayz », où Billy chante très doucement, très délicatement. Parfois, c’est presque chuchoté. Il nous répète : « You know I'm true ». On veut bien le croire. Enfin du dépouillé et de l’émotion pure. La chanson est belle, elle est assez convaincante. Et si c’était lui LE titre de l’album ? Le moins ronflant, le plus discret, le plus nu, le plus vrai.

L'album est assez court : 45 minutes. Et il ne fera s'enflammer, à proprement parler, personne. Les aficionados du Billy Corgan des nineties ne pourront manquer de rester sur leur faim. A aucun moment, en effet, ils ne retrouveront l’extrême puissance qui les faisait sortir d’eux-mêmes, avec ces murs du son inouïs à la guitare, cette batterie tellement géniale et ces hurlements corganiens inoubliables ; à aucun moment ils n’auront plus droit à ce régal qui donne à la vie une autre dimension, insensée. The Future Embrace n'est pas Mellon Collie... mais cela a déjà été fait il y a dix ans. Billy innove, tâtonne un peu, il déconcerte sans doute bon nombre de ses fans. A ces derniers, nous conseillons pourtant de laisser tomber leurs préjugés et leurs attentes surannées, voulant toujours que le même revienne, et qu’ils laissent ces nouvelles créations investir leur âme. Sans doute finiront-elles par leur plaire, même si la ou les premières écoutes pourront peut-être leur donner l’impression de tomber de haut. The Future Embrace se révèle, au final, en dépit de ses imperfections et de ses quelques creux, un album magnifique.

Au terme de cette critique plutôt favorable, nous ne pouvons nous empêcher de laisser parler un peu nos tripes de vieux fans. Trop de retenue : c’est le reproche essentiel que l’on fera à Billy Corgan sur cet album. Car malgré tous nos efforts et nos écoutes répétées, nous n’avons pas pu complètement oublier le passé, et certains souvenirs n’ont cessé de nous démanger. Pour le prochain album, Billy, on t’en supplie, lâche les chevaux, les guitares, ramène Jimmy Chamberlin derrière cette foutue batterie, hurle et sois doux (comme dans « Strayz »), conserve éventuellement l’inspiration de « Mina Loy (M.O.H.) » ou de « The Camera Eye », voire de « Pretty, pretty STAR ». Mais au diable cette mièvrerie qui culmine dans « I’m Ready » et qui est une véritable insulte à ton talent !

Avec cet album, Billy Corgan est loin d’avoir éteint tous nos espoirs ; plus que jamais, il les a ravivés, excités. Nous rêvons tous du Mellon Collie des années 2000 ; espérons que c’est aussi le rêve de Billy…


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