11 mars 2006

Hostel : un film dégueulasse

Ce vendredi soir, j'étais décidé à aller au cinéma. Sans grande conviction, car aucun des films à l'affiche ne m'aguichait. J'allais faire mon choix au dernier moment, en suivant ma dernière intuition. Après avoir longuement marché, dans la nuit froide et ce temps pourri caractéristique de ce début de mois de mars, en évitant soigneusement les flaques d'eau qui truffaient mon chemin, j'arrive face aux affiches ; comme prévu, elles m'indiffèrent. Les bons films du début d'année ont été bel et bien retirés. Je fais encore quelques pas jusqu'à un second cinéma qui se trouve là. J'y décerne, entre toutes, une affiche rouge, assez sombre, qui me semble être celle d'un film d'horreur. Ce type de cinéma est, certes, souvent bien décevant ; mais quitte à voir un film moyen, autant aller de ce côté-là. En m'approchant, je vois le nom de Quentin Tarantino ; il est le producteur de ce Hostel. La réflexion est faite, j'y vais.

Trois jeunes gens, deux Américains, un Islandais, vadrouillent à travers l'Europe, en train, d'auberges de jeunesse en auberges de jeunesse, en quête des filles les plus chaudes du continent. Après la France, la Belgique, la Suisse, les voici à Amsterdam. Ils envisagent de poursuivre leur périple vers Barcelone, mais on leur conseille la Slovaquie, Bratislava. Les filles de l'Est sont en effet les plus belles et les plus faciles. Leur vendeur de fantasme, un jeune type comme eux, est convaincant, qui les reçoit dans sa piaule où est en train de baiser un couple défoncé, et qui leur montre sur son téléphone portable quelques clichés de lui entouré de ces fameuses filles faciles, dans la plus parfaite débauche. Nos trois amis attendront un peu avant de rejoindre Barcelone ; Bratislava, nous voilà !

Dans le train qui les mène au paradis de la luxure, les trois mâles plaisantent ; on apprend que l'un d'entre eux, l'Islandais, est père de famille, ce qui ne l'empêche pas de savoir s'amuser : lui qui s'auto-proclame le "roi du coup de rein" s'est rasé les fesses pour qu'elles soient toutes douces, et en fait profiter ses copains. Et puis, un type plus âgé rentre dans le compartiment, qui calme un peu les ardeurs de nos trois touristes. Petite discussion, le vieux gars fait partager à ses nouveaux compagnons sa joie de la paternité, leur montre la photo de sa petite fille, à laquelle il tient plus que tout au monde. Mais le père de famille est lui aussi un type qui sait vivre ; en apprenant la destination des jeunes gens, il leur recommande chaudement les filles de Bratislava. Mais décidément, cet intrus est bizarre, il se met à manger une salade au poulet avec ses doigts, soutenant qu'il aime sentir la chair des animaux morts qu'il mange. Et pose bientôt sa main sur la cuisse de l'un des jeunes, qui ne le prend pas très bien. Le vieux pervers s'en va, mais on se doute que ce n'est pas la dernière fois qu'on le voit.

Arrivée conquérante à Bratislava des deux Yankees et du "Roi du coup de rein" venu du pays des jeysers. Ils vont en découdre avec les femelles de l'Est ! L'auberge de jeunesse où ils atterrisent est bien au-dessus de toutes leurs espérances. Les filles n'ont effectivement pas du tout l'air farouches. Ils apprennent que leur chambre sera semi-privée : en clair, ils devront la partager. Et, oh ! surprise, en arrivant dans leur chambre, ils découvrent deux bimbos à moitié nues, qui les accueillent de la façon la plus prometteuse qui soit. Tous se retrouvent ensuite au sauna, les deux charmants canons sont toujours aussi détendus et le top-less semble bien être leur tenue favorite. Cool. Une Italienne, une Russe. La suite n'a rien de très surprenant ; soirée, discothèque - au sein même de l'hôtel - et baise. Mais alors que les deux Américains se font chevaucher par les deux bombas qui partagent leur chambrée, le King islandais s'en va aux bras de la jolie tenancière de l'hôtel. Quelque part, on ne sait pas où.

Le lendemain matin, les deux potes sont aux anges, mais ont perdu leur copain. Disparu, volatilisé. Avec, paraît-il, une Asiatique. Les deux Américains s'inquiètent, ne croient pas qu'il ait pu partir comme ça, sans les prévenir, mais finissent par se dire que, au fond, ils ne connaissaient pas si bien leur acolyte islandais, et qu'il est peut-être véritablement parti avec sa nouvelle amie. Entre temps, le vieux pervers du train est reparu, dans la discothèque de l'hôtel où logent nos jeunes. Que fait-il là au juste ? On n'en sait rien. D'ailleurs, personne ne se pose la question. Mais on est dans un film d'horreur... Faut pas trop se poser de questions. D'horreur, je n'ai pas vraiment encore parlé. J'ai décrit une sorte de comédie adolescente, dans la veine d'American Pie, pas bien fine, où de gentils garçons n'ont qu'une idée en tête : se taper tous les canons qui passeront à leur portée. En effet, l'inquiétude ne monte que progressivement et ne se découvre franchement que dans la seconde moitié du film.

L'un des deux Américains, le blond, disparaît à son tour. Manifestement drogué par l'une des filles, il va s'effondrer sur son lit. Là, on voit les pieds du Diable qui se plantent, devant lui, devant son corps inanimé sur le lit, et on devine qu'il va l'emporter. L'autre Américain, le brun, s'inquiète cette fois-ci franchement de la disparition de son compagnon de route. Il a bien raison. Le film verse alors de ce que d'aucuns appellent le gore. Le pauvre blondinet innocent se retrouve dans le lieu le plus pourrave du monde, le plus abjecte, une pièce délabrée au milieu, imagine-t-on, d'un vieil entrepôt abandonné, plus précisément dans les sous-sols sinistres, rouillés et poisseux de celui-ci. Il est ligoté sur une chaise avec des menottes. Pieds et poings liés. Quasiment nu. Et il voit tout autour de lui une panoplie impressionnante d'instruments de torture, des pinces de toutes formes et de toutes dimensions, bref tout le matériel du parfait mécano - et plus encore. Tout ça, il le voit à travers une cagoule percée qu'on a mise sur sa tête. Tout d'un coup, un homme arrive et lui retire la cagoule.

Et là, what a surprise ! c'est le vieux pervers du train ! Celui qui aimait sentir entre ses gros doigts la chair des animaux morts qu'il dévorait, et qui avait même déjà tâté la cuisse de notre jeune ami. Vous imaginez l'horreur absolue de la scène : le jeune type, nu comme un vers, immobilisé sur une chaise en métal avec des menottes, loin de tout, loin de toute civilisation et de toute humanité, avec un vieux psychopathe qui a à sa disposition tous les outils de torture imaginables, et qui est résolu, on n'en doute pas, à les utiliser. C'est, en gros, la pire situation dans laquelle un être humain peut se retrouver. Le film sombre alors dans l'ultra-violence gratuite, certes sans tout montrer (encore heureux !), mais en jouant sur les peurs les plus primaires et les plus violentes, sans servir le moindre propos. Le vieux se saisit d'une perceuse, il la met en marche, avec ce doux bruit rassurant que vous imaginez, et il s'approche du jeune homme terrorisé qui le supplie de le libérer, et qui est pris d'une telle peur-panique qu'il se vomit dessus. La perceuse sera utilisée, puis un scalpel. Une vraie scène dégueulasse. Avant d'achever sa victime, le bourreau lui aura dit sa raison d'agir : il voulait devenir chirurgien, mais comme ses mains tremblent, sa vocation a été contrariée. Un peu léger comme explication. A défaut, le voilà donc devenu chirurgien-boucher.

Le deuxième Américain atterrira à son tour dans ce temple du Mal. Conduit par l'une des bimbos qu'il avait sautée à son arrivée à l'hôtel. La fille le mène dans ce lieu ultra-glauque en lui faisant croire que ses amis y sont pour une exposition artistique. Le gars, pas craintif et pas fufute, la suit. Il prend conscience de la réalité lorsqu'il se retrouve presque nez-à-nez avec l'un des chirurgiens-bouchers, en train de recoudre l'un de ses amis morts, qu'il venait d'éventrer. Car le vieux pervers du train n'est pas le seul. Tous les bas-fonds de ce bâtiment en ruine sont truffés de tueurs, plus malades les uns que les autres, qui officient dans d'innombrables cellules, plus lugubres les unes que les autres, avec la même sauvagerie, et avec la même jouissance. La fille servait d'appât pour jeunes touristes en quête de sensations fortes et de nuits chaudes, et se faisait payer cher pour les ramener dans les mains de leurs futurs tortionnaires et assassins. Et ces praticiens de la torture, qui sont-ils au juste ? Nous n'en saurons rien, seulement qu'ils payent pour avoir leur place dans ce lieu maudit et avoir la possibilité de se livrer à ces terribles agissements. Des hommes riches qui payent très cher pour avoir le droit de jouir de la mort horrible qu'ils infligent à autrui.

Notre héros américain s'en sortira, après s'être extirpé des griffes d'un fou furieux qui avait décidé de s'occuper de lui avec une tronçonneuse et une longue paire de ciseaux. Certes, pas sans encombres : lui aussi se gerbera dessus de peur, aura droit à son amputation de quelques doigts, qu'il essaiera en vain de conserver lorsqu'il seront par terre ; puis il sauvera une jeune Asiatique, qu'il avait croisée à l'hôtel, après qu'un allumé lui aura tout de même brûlé un oeil et une moitié de la face au chalumeau (autre scène bien dégueulasse). Le hasard voudra que, dans le train qui l'emmène loin de toutes ces horreurs, notre Américain retombe sur le vieux pervers du début, transformé en bourreau de ses amis. Dans une gare, le boucher des bas-fonds de Bratislava, reconverti en homme respectable allant au travail, ira, seul et imprudent, se rafraîchir dans des chiottes quelconques. Là, son ancienne victime le suivra et lui tranchera les doigts, avant de lui trancher la gorge dans la cuvette des chiottes. Pas de conclusion, le film s'arrête là, notre héros remonté dans le train et rentrant, on le devine, chez lui, là où il fait mieux vivre. Alors, un film de chiotte ?

L'intrigue est nulle, les dialogues d'une pauvreté affligeante et rare, la psychologie des personnages inexistante, le message général introuvable. J'ai bien lu des critiques broder à ce film un fond intellectuel que, d'évidence, il ne possède pas. Ces critiques, qui ont forcément des choses à dire, qui veulent forcément avoir matière à penser, pensent et imaginent percevoir de grandes vues sur notre monde comme il va, avec son individualisme forcené, son impérialisme américain à l'origine, bien entendu, de tous les maux de la terre, avec ses pratiques monstrueuses dévoilées au grand jour dans les médias : tortures d'Abou Grahïb, décapitations vidéofilmées d'Occidentaux par des islamistes... On peut considérer qu'un tel film trouve ses conditions de possibilité dans ces aspects du monde contemporain ; mais on n'y pense pas durant la projection, ni après d'ailleurs. Ce film ne donne pas à penser. Il ne suscite pas la réflexion. Il faut, soi-même, avoir très envie de penser pour en tirer quelque chose. Comme c'est le cas de la plupart des critiques de cinéma. Quelles sont les motivations du bourreau, sinon le pur plaisir de tuer et de voir mourir ? Que ressent et pense le héros lorsqu'il réchappe de cet enfer ? On n'en saura rien ; il a évidemment eu la trouille de sa vie, un point c'est tout. Bref, Hostel n'est pas un film d'intello. Et c'est de la masturbation intellectuelle que d'y dénicher un sens profond ou même superficiel. C'est un film plat et sans aucun fond.

Vous me direz que j'ai beaucoup écrit pour pas grand chose, pour un film qui n'en valait pas la peine. C'est possible. Au moins vous en ai-je assez dit pour vous dissuader d'y aller. Même la peur n'est pas réellement au rendez-vous. Seulement de l'insoutenable à quelques moments. La vraie peur nécessiterait une intrigue plus riche, une psychologie minimale et même développée si possible, de la suggestion, du non-dit et du non-vu, suscitant une imagination forte, un frisson constant. On a d'abord peur avec sa tête. Là, on n'a peur qu'avec ses trippes, qu'avec ses nerfs, face à une perceuse ou une tronçonneuse qu'on allume pour exécuter un pauvre gars attaché. C'est rude, mais sans profondeur, sans intensité. C'est gratuit. Bâclé. Pauvrement dégueulasse.


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