03 décembre 2008

Bombay : les services pakistanais sous le feu des projecteurs

Les attentats de Bombay auraient été commis par un groupe islamiste en provenance du Pakistan. On soupçonne un appui des services secrets militaires pakistanais. Ce n’est pas le moindre des rapprochements que l’on peut faire avec les attentats du 11-Septembre.

Le 11-Septembre indien : c’est ainsi qu’ont été largement qualifiés dans la presse mondiale les attentats de Bombay du 26 novembre 2008. Selon Times Now, le seul des dix terroristes capturé vivant, un jeune homme de 21 ans nommé Azam Amir Kasav, a déclaré lui-même aux enquêteurs que le but de l’opération était de détruire les hôtels Taj Mahal et Trident-Oberoi, sur le modèle des destructions du 11-Septembre à New York. Il s’agissait de réduire en poussière les symboles de la puissance économique indienne, à la manière dont avaient été pulvérisées les tours du World Trade Center. Les terroristes avaient-ils apporté suffisamment d’explosifs pour parvenir à leurs fins ? Les avis divergent à ce sujet (oui pour le Washington Times, non pour The Hindu). Le ministre indien de l’Intérieur, Shivraj Patil, a déclaré samedi que les terroristes avaient planifié de tuer quelque 5.000 personnes. A ce jour, le bilan s’élève à 172 morts.

Symboles. Le parallèle entre les attentats de New York et ceux de Bombay est tentant : dans Le Figaro du 29 novembre, Pierre Rousselin écrit que "c’est parce qu’on l’appelle « la New York de l’Inde » que Bombay a été visée par les terribles attentats de mercredi soir." Dans les deux cas, ce sont en effet les symboles de la puissance financière des deux pays (les deux plus grandes démocraties du monde) qui ont été visés.

Attaques synchronisées. Une dizaine d’objectifs étaient ciblés à Bombay (hôtels, gare, etc.), quatre aux Etats-Unis en 2001 ; une douzaine étaient déjà envisagés dans l’opération Bojinka, ébauche du 11-Septembre, déjouée in extremis à Manille, aux Philippines, en 1995 (Le Figaro, Die Welt, CNN). En 2008 comme en 2001, nous avons affaire à des attaques multiples soigneusement coordonnées. Le mode opératoire fait spontanément penser à Al-Qaïda : "Les multiples attaques simultanées d’hôtels et d’autres lieux fréquentés par des étrangers, principalement des Américains, des Britanniques, des Français et des Israéliens, portent la marque d’al-Qaida, écrit Pierre Rousselin. On ignore qui a commandité le carnage, mais les cibles choisies et la façon d’opérer prouvent que l’organisation terroriste internationale a au moins inspiré les auteurs du massacre." Même si Al-Qaïda ne semble plus, à l’heure qu’il est, responsable de ces attentats, leurs auteurs se seraient inspirés de leur modus operandi, quitte à s’octroyer quelques libertés, à se permettre des innovations.

Spectaculaire. Comme en 2001, il s’agissait de mener l’action la plus spectaculaire possible : "La tactique des terroristes, de même que le choix des cibles, luxueuses et fréquentées par des étrangers, révèle (...) une volonté de donner un caractère spectaculaire à leurs attentats", écrit Isabelle Lasserre dans Le Figaro. "Les groupes de Bombay cherchaient avant tout à faire entendre leur cause, soutient Dominique Thomas, spécialiste d’Al-Qaïda à l’École des hautes études en sciences sociales. Le fait de cibler des Occidentaux leur donne une grande visibilité médiatique. S’ils avaient agi de manière plus classique, en ciblant uniquement des Indiens, on n’en aurait presque pas parlé." Signalons cependant que, selon Rattan Keswani, le président de l’hôtel Trident-Oberoi, les terroristes n’auraient pas, contrairement à ce qui a été dit, "sélectionné" et "retenu à part" les personnes possédant un passeport américain ou britannique.

Avertissements. Comme les autorités américaines avant le 11-Septembre, celles d’Inde avaient reçu des avertissements qui n’ont pas suffi à empêcher les attentats : "Selon certaines sources, rapporte France24, les services de renseignement indiens auraient fait circuler, la semaine dernière, un rapport confidentiel concernant un projet d’attentat qui devait être lancé par la mer." Une différence de taille tout de même : alors qu’aucun dirigeant américain n’a démissionné suite aux attaques sur New York et Washington, les démissions se succèdent en Inde dimanche 30 novembre, avec celles du ministre de l’Intérieur, Shivraj Patil, et du conseiller à la sécurité nationale, M. K. Narayanan (le Condoleezza Rice indien).

Missions de reconnaissance. Ouest-France rapporte que "huit des extrémistes islamistes s’étaient infiltrés dans la ville un mois plus tôt. Les militants islamistes, se faisant passer pour des étudiants, ont mené "des missions de reconnaissance en prélude aux attaques" (...). D’autres militants auraient également stocké des armes et des munitions, notamment dans un des hôtels de luxe ciblés par les attaques. Cette première équipe a été rejointe mercredi soir par un second groupe qui est arrivé à Bombay par la mer..." C’est, à une échelle plus réduite, ce qui s’est produit pour le 11-Septembre. Une première vague de terroristes s’était introduite aux Etats-Unis plus d’un an avant les attentats, avant d’être rejointe, bien plus tard, par la seconde. Des missions de reconnaissance avaient également eu lieu, notamment auprès de "bâtiments fédéraux à New York", comme le précisait le PDB du 6 août 2001, transmis par la CIA à George W. Bush. Il semble même que les terroristes soient venus repérer le World Trade Center : William Rodriguez, qui y était gardien, rapporte en effet avoir aperçu en juin 2001 Mohand Alshehri, futur kamikaze sur le vol 175, qui frappera la Tour Sud. Alsheri lui aurait demandé combien il y avait de toilettes au niveau du hall.

Hernant KarkareHéros. On peut aussi relever la disparition, dans les attentats de 2001 et 2008, de deux figures majeures de l’anti-terrorisme : côté américain, John O’Neill, chef du contre-terrorisme au FBI, et, côté indien, Hemant Karkare, chef de la police anti-terroriste de Bombay, tué lors des fusillades. Tandis que John O’Neill avait démissionné de son poste, le 22 août 2001, pour protester contre les obstructions répétées à ses enquêtes sur Ben Laden venant de la Maison Blanche (avant d’être nommé chef de la sécurité du World Trade Center, où il trouva la mort), Hemant Karkare "travaillait ces derniers temps sous la pression des partis conservateurs hindous, en raison des enquêtes qu’il menait contre une cellule terroriste hindoue, suspectée d’être impliquée dans des explosions ayant frappé, en 2006, une petite ville, Malegaon, située non loin de Bombay."

Plus ou moins anecdotiques, ces ressemblances sont frappantes.

Les terroristes. A la différence de 2001, ce n’est pas Al-Qaïda qui semble avoir exécuté l’opération, mais le groupe du Lashkar-e-Taiba, "l’Armée des Purs" (qui appartient néanmoins à sa "nébuleuse"), l’un des mouvements islamistes clandestins pakistanais qui luttent contre l’« occupation » indienne du Cachemire et les persécutions qu’y subirait la minorité musulmane. Le seul terroriste rescapé de Bombay, Ajmal Amir Kamal (ou Azam Amir Kasav), aurait lui-même indiqué aux enquêteurs que les assaillants étaient tous des Pakistanais entraînés par le Lashkar-e-Taiba. "Savez-vous combien de personnes ont été tuées au Cachemire ?", avait d’ailleurs demandé l’un des assaillants, peu avant de mourir, à une chaîne de télévision qui l’avait contacté par téléphone alors qu’il occupait un centre religieux juif.

Comme le rappelle La Croix, "l’Inde tenait déjà le Lashkar pour responsable de nombreux attentats perpétrés sur son sol. La liste est longue : attentats à la bombe à New Delhi en octobre 2005 (62 morts), à Varanasi (Bénarès) en mars 2006 (21 morts), ou encore à Bombay en juillet 2006 (186 morts) et en août 2003 (55 morts). À cela s’ajoute l’audacieuse attaque du Parlement à New Delhi, perpétrée en décembre 2001 par un groupe d’hommes armés. L’incident avait poussé l’Inde et le Pakistan vers les prémices d’une quatrième guerre fratricide, les deux pays massant alors près d’un million de soldats le long de leur frontière commune." Interdit au Pakistan en 2002 sous la pression des Etats-Unis, le Lashkar est réapparu sous le nom du Jamaat-ud-Dawa. Ce groupe a nié toute implication dans les attentats de Bombay.

Le soutien de l’ISI. Les islamistes du Jaish e-Mohammed sont également soupçonnés. Mais quel que soit le responsable exact, tous ces groupes terroristes ont la particularité d’être fortement appuyés par les services secrets militaires pakistanais, l’Inter Service Intelligence (ISI). Longtemps, c’est l’ISI qui a géré leurs camps d’entraînement en Afghanistan, qu’ils partageaient d’ailleurs avec Al-Qaïda. "Tout comme Al Qaïda, le L-e-T puise son inspiration chez les wahabbites, une secte radicale apparue dans la péninsule arabique, indique L’Express. Bien organisé et bien financé, le L-e-T est l’une des organisations qui ont été les plus manipulées par l’ISI par le passé, selon certains spécialistes des questions de sécurité". D’ailleurs, "si le LeT est impliqué, alors les services pakistanais le sont aussi", affirme sans hésiter Ajai Sahni, expert en terrorisme à l’Institut pour la gestion des conflits de New Delhi.

Quelle que soit aujourd’hui la volonté du nouveau président pakistanais, Ali Asif Zardari, qui semble vouloir rompre avec la duplicité de son prédécesseur Pervez Musharraf et qui oeuvre en faveur d’un rapprochement avec l’Inde, des soutiens aux groupes terroristes existent toujours au sein des services militaires, qui constituent au Pakistan un "Etat dans l’Etat". "Tels des mini-féodalités, il y a des acteurs qui défient l’Etat et menacent les décisions du gouvernement", écrivait vendredi, le chroniqueur Aneela Babar dans le quotidien pakistanais Dawn.

Cachemire : la clé. "Islamabad parviendra-t-il à purger ces "mini-féodalités" ?, se demande Frédéric Bobin dans Le Monde. C’est tout l’enjeu de la lutte contre le terrorisme régional, mais aussi international, qui prend sa source dans les eaux troubles du Pakistan". Et d’expliquer le noeud géopolitique du problème : "La grande difficulté pour les nouveaux dirigeants pakistanais est de redéfinir la doctrine stratégique qui a historiquement tissé la connexion entre l’ISI et les groupes islamistes. Au cœur de cette vision des intérêts supérieurs de l’Etat pakistanais, il y a l’idée que l’Afghanistan doit être "finlandisé" pour offrir une "profondeur stratégique" en cas de conflit avec l’Inde. La fabrication du mouvement des talibans - des Pachtounes chargés d’arrimer Kaboul dans l’orbite pakistanaise - a obéi à cet impératif".

La solution ne peut passer que par un apaisement des relations indo-pakistanaises, et la résolution du conflit au Cachemire : "Résolu à recentrer le combat antiterroriste sur l’Afghanistan, et non plus sur l’Irak, Barack Obama a compris qu’il n’y parviendrait pas sans désamorcer parallèlement l’inquiétude stratégique pakistanaise. En d’autres termes, il faut réconcilier l’Inde et le Pakistan, en réglant par exemple la question du Cachemire, pour en finir avec la politique afghane d’Islamabad et son cortège de groupes islamistes supplétifs, ceux-là mêmes qui cherchent ensuite à "sanctuariser" les zones tribales pachtounes. Ce basculement, voulu par M. Obama, est un défi lancé à ces groupes. Les inspirateurs de l’assaut de Bombay, en réveillant l’animosité entre l’Inde et le Pakistan, pourraient chercher à saboter ce nouveau cours".

Coïncidence. Dimanche 23 novembre, trois jours à peine avant les attentats, le gouvernement du premier ministre Yousuf Raza Gilani avait annoncé le démantèlement de la "branche politique" de l’ISI. En clair, les services secrets militaires pakistanais devenaient officiellement interdits d’ingérence dans la vie politique intérieure. Jusqu’ici habitués à faire et défaire les gouvernements, à pourchasser les opposants et truquer les élections, ils devront désormais cantonner leur action à la lutte anti-terroriste et aux périls extérieurs. La décision ne fait évidemment pas l’unanimité. "L’ISI, relève La Croix, serait actuellement divisé entre ceux qui estiment qu’il faut mettre un terme aux activités des militants islamistes et ceux qui veulent continuer à les financer." D’ailleurs, en juillet, le gouvernement avait déjà tenté, en vain, de détacher l’ISI du contrôle de l’armée pakistanaise pour le placer sous celui du ministère de l’intérieur. Récemment interrogé par France 24, l’ancien directeur de l’ISI, le général Hamid Gul, soutien indéfectible de Ben Laden et des Taliban, a affiché son doute quant à l’effectivité de cette réforme.

La proximité temporelle entre la décision de dissoudre la branche politique de l’ISI et les attentats de Bombay fait se demander à Isabelle Lasserre si l’on ne peut pas "imaginer que l’aile radicale et islamiste de l’ISI ait soutenu les attentats pour protester contre la réforme des services de renseignements et la politique d’Islamabad". De même, Roland Jacquard, directeur de l’Observatoire international du terrorisme, remarque que "quelques jours avant ces attentats, le président Zardari annonçait une réforme de l’ISI. C’est cette coïncidence qui frappe. Il avait aussi fait plusieurs gestes d’apaisement comme s’il avait eu un mauvais pressentiment. Sachant qu’il ne contrôlait pas la situation, il a peut-être voulu envoyer un message à l’Inde. Je ne crois pas à une implication directe du gouvernement pakistanais, mais on ne peut exclure l’action d’une branche extrémiste de l’ISI."

Mahmood Ahmed. Jamais peut-être l’ISI n’a été aussi ouvertement montré du doigt pour sa probable implication, directe ou indirecte, dans des actes terroristes. Alors que nombre de journaux ont titré sur le "11-Septembre indien", on aurait pu s’attendre à ce que soit abordée la principale ressemblance entre les attentats américains et indiens, à savoir le rôle qu’y joua vraisemblablement l’ISI... Mais non, aucun média n’a rouvert ce dossier. Bombay 2008 nous ramenait à New York 2001, mais l’on freina pour aller au bout de la comparaison.

Mahmood AhmedPour rappel, les services secrets indiens avaient transmis, début octobre 2001, des informations qui révélaient l’implication financière du directeur de l’ISI, Mahmood Ahmed (ou Mahmoud Ahmad), dans la préparation des attentats du 11-Septembre. Le directeur du FBI Robert Mueller avait effectué spécialement le voyage jusqu’à Dehli pour recueillir lui-même tous les éléments. Le 9 octobre, deux jours après le début de la guerre en Afghanistan et le renvoi d’Ahmed de son poste de directeur de l’ISI, le Times of India rapportait : "Des sources au plus haut niveau confirment que le général a perdu son poste en raison des évidences produites par l’Inde et montrant ses liens avec un des kamikazes qui ont détruit le World Trade Center. Les autorités américaines ont exigé son renvoi après la confirmation du fait que 100.000 dollars avaient été transférés du Pakistan au pirate de l’air, Mohamed Atta, par l’intermédiaire de Omar Sheikh, à la demande du général Mahmood Ahmed. Des sources gouvernementales importantes confirment que l’Inde a contribué de manière significative à établir le lien entre l’argent transféré et le rôle joué par le chef démissionnaire de l’ISI. Bien qu’ils ne fournissent pas de détails [ces sources] affirment que les données fournies par l’Inde, notamment le numéro de téléphone du mobile d’Omar Sheikh, ont aidé le FBI à remonter et à établir le lien" (voir aussi Wall Street Journal, Daily Excelsior, London Times, Guardian).


La vérité, le silence et l’oubli.
Eric Laurent, dans La face cachée du 11-Septembre (éd. Plon, Pocket, 2004, p. 215-216), constate que "ces révélations suggérant que l’ISI ou même le régime pakistanais pouvaient être impliqués dans les attentats du 11 septembre ne firent l’objet d’aucun commentaire, pas plus à la Maison Blanche qu’au Pentagone ou au Département d’Etat. Comme s’il s’agissait pour l’administration Bush de murer toutes les pistes pouvant remonter jusqu’à la vérité".

Et le grand reporter de ponctuer son enquête par une réflexion sur le silence et l’oubli : "Le silence est une arme redoutable pour étouffer ou tuer la vérité. Et il possède un allié aussi efficacement pervers que lui : l’oubli. Je ne sais pas si "derrière toute grande fortune, comme le disait Bossuet et non Balzac, il y a un grand crime", mais j’ai pu constater que derrière tout grand crime commis il y a le silence et l’oubli. Les crimes du 11 septembre et les mystères qui les entourent en sont l’illustration. C’est le silence justement qui entoure désormais l’ancien directeur déchu de l’ISI, le général Mahmood. Il a été nommé à la tête d’une grande entreprise publique, ce qui démontre que sa disgrâce est relative, mais il reste muet". Assigné à résidence suite à son renvoi de l’ISI en octobre 2001, Mahmood Ahmed n’est réapparu que le 30 avril 2003, à la tête de la Fauji Fertilizer Company.

Pepe Escobar, dans un excellent article de l’Asia Times, daté du 8 avril 2004, suggérait qu’Ahmed était le "real smoking gun" du 11-Septembre, l’indice flagrant que cherchaient désespérément les enquêteurs, sans oser le voir... tant les conséquences de cette découverte pourraient s’avérer embarrassantes. Car il faudrait alors se demander si Musharraf, d’une part, et l’élite du renseignement américain, d’autre part, pouvaient raisonnablement ignorer le lien entre Ahmed et Atta.

Suspicions. Assassinat de Massoud, financement, voire organisation du 11-Septembre, attentat manqué de Richard Reid (l’homme aux chaussures piégées), assassinat de Daniel Pearl (qui enquêtait notamment sur des militants pakistanais liés à l’ISI), multiples attentats en Inde, attentat-suicide du 7 juillet 2008 contre l’ambassade indienne à Kaboul, assassinat de Benazir Bhutto... L’ISI est suspecté, à tort ou à raison, dans de très nombreux crimes de grande envergure. Il fut donc immédiatement pointé du doigt par l’Inde suite aux attentats sanglants de Bombay.

L’envoi à New Dehli de son directeur, le général Shuja Pasha, pour assister les services de sécurité indienne, devait servir à prouver la bonne foi pakistanaise et à calmer les tensions. Le geste aurait été "sans précédent". Proposé, vendredi 28 novembre, par le premier ministre indien Manmohan Singh, accepté par son homologue pakistanais, Youssouf Reza Gilaniéci, il fut finalement annulé, suite à des protestations au Pakistan, notamment de la part de l’ancien chef de l’ISI Hamid Gul, selon lequel le projet de visite s’apparentait à une "convocation" de la part des Indiens. A défaut du chef, un "représentant" de l’ISI se déplacera néanmoins à New Delhi pour aider à l’enquête.

Lumières dans le miroir. Le "11-Septembre indien" constitue une occasion de revenir sur le "11-Septembre américain", et sur leur principal point commun : le possible rôle central de l’ISI. Ignoré au lendemain du 11 septembre 2001, passé inexplicablement sous silence, le jeu trouble de l’ISI est mis, ces derniers jours, sous la lumière crue des projecteurs médiatiques. Ces lumières oseront-elles aller jusque dans la cellule pakistanaise où croupit, depuis février 2002, Omar Saeed Sheikh, personnage charnière entre Al-Qaïda, l’ISI et le 11-Septembre, condamné à mort pour le meurtre de Daniel Pearl, mais toujours bien vivant depuis bientôt sept ans, et dont Musharraf avait dit, songeant à tous les secrets qu’il détient : "Je préférerais le pendre moi-même plutôt que de l’extrader" (E. Laurent, p. 225) ? Iront-elles chercher le regard et la voix de Mahmood Ahmed, qui auraient tant de choses à nous dire ? Le silence de ces deux hommes vaut de l’or.

Certains ont préféré aller "harceler" Joe Biden, le futur vice-président américain, qui, en tant que chef du comité des relations extérieures du Sénat, avait discuté avec Ahmed le 13 septembre 2001, durant la longue visite du chef de l’ISI à Washington, du 4 au 13 septembre, et qui demeure, à bien des égards, mystérieuse. Réponse finale de Biden : "Confidentiel". Il se pourrait que ce soit là le fin mot de l’histoire, au moins pour les 20 ou 30 prochaines années.







Extrait de Fabled Enemies, suivi de Michael Meacher,
ancien ministre britannique au sujet du rôle de l’ISI
dans le 11-Septembre (sous-titré en français)


Le mal. Pour conclure, j’aimerais citer la réaction d’Ivan Rioufol, du Figaro, aux attentats de Bombay : "C’est naturellement le profil nouveau des assaillants, des adolescents selon de nombreux témoignages, qui frappe en premier lieu. Leur fanatisme meurtrier vient rappeler cette prophétie de Jérémie (je cite de mémoire) : "Ils détruiront tout. Ce qu’ils ne connaissent pas ils le briseront, ils le saliront. De notre temps, il ne restera que des ruines". Bien que le politiquement correct se refuse à parler de choc des cultures ou des civilisations, c’est bien son expression la plus nihiliste qui s’exprime à nouveau dans ces attentats perpétrés au nom du jihad contre l’Occident et contre la démocratie indienne. Mais il y aura encore des belles âmes qui tenteront de les justifier en plaidant l’humiliation des déshérités".

Cette vision des événements, qui en appelle aux prophéties bibliques, serait presque rassurante : les méchants seraient des fous, des illuminés sans pensée, presque des démons, hors humanité. Peut-être. Mais le plus effrayant dans le mal, ou ce que nous appelons tel, ce pourrait bien être plutôt qu’il soit parfaitement compréhensible et même, d’un certain point de vue, justifiable. Une telle compréhension - vertigineuse - n’empêcherait évidemment pas de combattre. Elle éviterait seulement les visions passionnément manichéennes qui attisent les haines de toutes parts.

On sait que l’un des terroristes avait déclaré à India TV : "Nous demandons la libération de tous les Moudjahidine détenus en Inde... et les musulmans vivant en Inde ne doivent pas être importunés". En Inde, les musulmans, "en général très pacifiques", sont en effet confrontés depuis quinze ans à la montée en puissance du nationalisme hindou, et à des attentats meurtriers, sans que l’Etat n’arrête les responsables. En 2002, des pogroms antimusulmans ont ainsi fait plus de 2.000 morts dans l’Etat du Gujarat, dont le gouvernement, dirigé par le Parti du peuple indien (BJP), est même accusé d’être à l’origine. Ces massacres avaient eu pour déclencheur l’incendie d’un train transportant des militants hindous qui revenaient de la ville d’Ayodhya, où ils étaient aller réclamer l’édification d’un temple sur le site d’une mosquée du XVIe siècle rasée par des extrémistes hindous dix ans plus tôt, le 6 décembre 1992. 58 Hindous avaient péri dans l’incendie. Cercle infernal de la violence, succession de causes et d’effets dont on ne trouvera jamais le premier moteur.

Et maintenant. Les tensions interconfessionnelles, déjà fortes, vont sans doute redoubler désormais, après le drame de Bombay, et nul doute que les nationalistes hindous du BJP en profiteront à l’occasion des élections générales qui auront lieu dans à peine six mois en Inde. Curiosité : "La principale revendication du BJP est une loi d’exception sur le modèle de celle qu’il avait fait voter quand il était au pouvoir entre 1998 et 2004. Cette loi était une sorte de "Patriot Act" à l’indienne, indique Christophe Jaffrelot, directeur du centre d’études et de recherche internationale de Sciences Po. Le Parti du Congrès l’avait abrogée avec raison quand il est arrivé au pouvoir, parce que des musulmans avait été arrêtés de façon aveugle et s’étaient retrouvés privés de droit civique." Décidément, ce "11-Septembre indien" pourrait avoir encore plus de similitudes qu’on ne pense avec son modèle américain.

30 décembre 2007

Déclaration stupéfiante de Benazir Bhutto au sujet de la mort d'Oussama Ben Laden

Dans une interview du 2 novembre 2007 à David Frost, journaliste vedette à Al-Jazira, Benazir Bhutto affirme - en passant - qu'Oussama Ben Laden a été assassiné par Omar Sheikh, un agent de l'ISI pakistanaise qui joua un rôle clé dans les attentats du 11-Septembre. Cette déclaration stupéfiante, à prendre avec beaucoup de précaution, soulève de très nombreuses questions, qui risquent bien de ne jamais être résolues.

Le 27 décembre 2007, l'ex-Premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto trouvait la mort dans un attentat-suicide, dont les commanditaires n'ont pas pu être encore clairement identifiés. Le 18 octobre dernier, jour de son retour au Pakistan après huit années d'exil, elle était déjà la cible d'un attentat-suicide dont elle sortait miraculeusement indemne. Entre ces deux attaques, le 2 novembre, elle avait accordé une interview à David Frost sur Al-Jazira, où elle avait désigné les possibles responsables de l'attentat du 18 octobre ; selon elle, ils pouvaient provenir d'un "gang du seigneur de guerre afghan Baitullah Mehsud, ou d'Hamza Ben Laden, le fils d'Oussama Ben Laden, ou des Taliban pakistanais à Islamabad, ou d'un groupe à Karachi."

Elle poursuivait : "J'ai renvoyé une lettre [au Président Pervez Musharraf] disant que tant que ces groupes pourraient être utilisés, je pensais qu'il était plus important de rechercher les gens qui les soutiennent, qui les organisent, qui peuvent être les financiers, ou les organisateurs du financement de ces groupes, et j'ai nommé trois individus dont je pensais qu'ils pouvaient être leurs sympathisants." David Frost demande alors des précisions sur ces trois individus ; il veut savoir s'ils peuvent avoir partie liée avec le gouvernement pakistanais. C'est là que Benazir Bhutto lance : "Oui, l'un d'eux est un personnage très important [a very key figure] dans la sécurité. Il est un ancien officier militaire. C'est quelqu'un qui a été impliqué avec le Jaish-e-Mohammed, l'un des groupes de Maulana Azhar, qui était dans une prison indienne pour avoir décapité trois touristes britanniques et trois touristes américains, et il a aussi été impliqué avec Omar Sheikh, l'homme qui a assassiné Oussama Ben Laden".

La déclaration sensationnelle est la dernière : Ben Laden serait mort, et son meurtrier serait Omar Sheikh. Une déclaration qui ne doit pourtant pas en cacher une autre : cette allusion à cet "ancien officier militaire" impliqué avec le Jaish-e-Mohammed et Omar Sheikh, et que Benazir Bhutto soupçonnait de vouloir l'assassiner.

Oussama, es-tu là ?

La première déclaration - commençons évidemment par elle - est sidérante. D'abord, Ben Laden serait mort. Cette mort a déjà été annoncée, et démentie, quantité de fois. La dernière, c'était le 23 septembre 2006 ; le quotidien L'Est républicain publiait alors ce qui était présenté comme une information des services de sécurité saoudiens, transmise à la Direction générale des services extérieurs (DGSE), selon laquelle Ben Laden avait contracté "une très forte crise de typhoïde" alors qu'il se trouvait au Pakistan, et y aurait succombé le 23 août 2006.

Mais Benazir Bhutto précise cette fois-ci que Ben Laden aurait été tué par Omar Sheikh. Or, cet individu, que d'aucuns présentent comme le "fils préféré" de Ben Laden - et qui est connu pour son rôle dans le financement du 11-Septembre (il transféra 100 000 dollars à Mohammed Atta, le leader des kamikazes, sur les ordres du chef de l'ISI Mahmoud Ahmad) et aussi dans l'enlèvement et le meurtre du journaliste Daniel Pearl - est incarcéré au Pakistan depuis février 2002. Ce qui signifierait qu'il aurait tué Ben Laden avant cette date, et que ce dernier serait donc mort depuis près de six ans !

De nombreuses sources avaient, il est vrai, annoncé à cette époque la possible ou probable mort d'Oussama Ben Laden : le président américain George W. Bush lui-même, selon le Telegraph du 27 décembre 2001, le président pakistanais Pervez Musharraf sur CNN, le 18 janvier 2002 (qui évoquait sa maladie des reins), le New York Times du 11 juillet 2002 (qui précisait que la mort remontait à décembre 2001 et que le chef d'Al-Qaïda était enterré dans les montagnes du sud-est de l'Afghanistan), le FBI, selon BBC News du 18 juillet 2002, ou encore le président afghan Hamid Karzaï sur CNN, le 7 octobre 2002. Le Pakistan Observer (cité par Fox News) et le quotidien égyptien Al-Wafd, avaient même rapporté, le 26 décembre 2001, ses funérailles ; un important officiel taliban y affirmait que le Saoudien était mort, naturellement et calmement, dix jours auparavant, des suites de graves problèmes pulmonaires.

Une mort probable... à un témoignage près

Les problèmes de santé, notamment rénaux, d'Oussama Ben Laden sont connus depuis longtemps ; un membre de l'administration Bush, réagissant aux propos de Musharraf de janvier 2002, confia ainsi que le chef d'Al-Qaïda avait besoin d'une dialyse des reins tous les trois jours (même si d'autres officiels américains ne voyaient dans ces problèmes rénaux qu'une "rumeur récurrente"). Le 28 janvier 2002, CBS avait rapporté que, le 10 septembre 2001, Ben Laden se faisait soigner dans un hôpital militaire à Rawalpindi pour une dialyse des reins, escorté par l’armée pakistanaise. Le 2 juillet 2001, un quotidien indien affirmait que "Ben Laden, qui souffre de déficience rénale, a régulièrement été placé sous dialyse dans un hôpital militaire de Peshawar alors que l'Inter-Services-Intelligence (ISI) en avait connaissance et l'approuvait, voire avec l'accord [du président pakistanais] Musharraf lui-même". La lettre d'information Jane's Intelligence Digest du 20 septembre 2001 allait dans le même sens : "Les autorités pakistanaises ont apporté des soins médicaux au souffrant Ben Laden, notamment des dialyses rénales, dans un hôpital militaire de Peshawar." Et l'on se souvient du fameux séjour de Ben Laden à l'Hôpital américain de Dubaï, du 4 au 14 juillet 2001, dans le département d'urologie du docteur Terry Callaway, spécialiste des calculs rénaux, où il avait reçu la visite, le 12 juillet, du chef d'antenne locale de la CIA, Larry Mitchell (Le Figaro et RFI, 31 octobre 2001).

Que conclure de tout cela ? Que Ben Laden est mort assassiné ? Ou alors des suites de sa maladie ? Ou encore (coup de théâtre !), qu'il n'est pas mort du tout, mais bien vivant ? Car une information vient contredire tous les indices de sa disparition en décembre 2001. Il s'agit du témoignage des soldats français du COS (Commandement des Opérations Spéciales) en Afghanistan, que nous rapportent les grands reporters Eric de Lavarène et Emmanuel Razavi dans leur documentaire Ben Laden, les ratés d'une traque (20e minute). A six mois d'intervalle, ils auraient, en effet, eu Ben Laden à portée de tir, sans recevoir le feu vert des Américains pour agir. Un soldat français déclare : "Je peux en attester : en 2003 et en 2004, nous avions Ben Laden dans la lunette." Les soldats français ont-ils pu se méprendre sur la personne ? Ou leur témoignage est-il décisif ? Selon Infosoir du 22 décembre 2006, les deux journalistes ont interrogé quatre soldats français des forces spéciales qui ont tous donné la même version des faits.

L'intervention de Benazir Bhutto, on le voit, soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Certains ont suggéré - ce qui résoudrait en effet le problème - que la langue de l'ancienne Premier ministre a fourché ; au lieu de dire "Omar Sheikh, l'homme qui a assassiné Oussama Ben Laden", elle aurait voulu dire : "Omar Sheikh, l'homme qui a assassiné Daniel Pearl". Cette hypothèse a sa pertinence, d'autant qu'un mois avant cet entretien, le 2 octobre 2007, Benazir Bhutto avait émis le souhait de partir à la recherche de Ben Laden, seule ou avec l'aide de l'armée américaine. Si seulement David Frost avait bondi, comme aujourd'hui beaucoup d'internautes, à l'écoute de cette déclaration tonitruante, pour demander une mise au point, nous ne serions pas dans ce flou. Nous ne saurons jamais ce que Bhutto a voulu dire. Il paraît cependant peu probable qu'elle ait voulu lancer un tel scoop, l'air de rien, en passant, avec une telle nonchalance ; le lapsus semble, à première vue, l'hypothèse la plus crédible. Ce qui ne nous renseigne en rien sur l'état actuel de Ben Laden... soit dit en passant.

Portrait-robot de l'assassin

Mais revenons à l'autre information d'importance que contient l'intervention de Benazir Bhutto. Celle qui décrit, sans le nommer, le possible commanditaire de l'attentat du 18 octobre et, peut-être aussi, de son futur assassinat : "un personnage très important dans la sécurité", "un ancien officier militaire", "quelqu'un qui a été impliqué avec le Jaish-e-Mohammed, l'un des groupes de Maulana Azhar", et qui a aussi été impliqué "avec Omar Sheikh".

Pour tenter de déchiffrer ces quelques lignes, lisons-les à la lumière d'un article fondamental que Paul Thompson, l'auteur de la base documentaire Complete 9/11 Timeline, a consacré à Omar Sheikh (et à l'ISI). En voici un premier passage : "Au début de l'année 2000, Saïd [Omar Saeed Sheikh] et l'ISI ont aidé Azhar à former un groupe terroriste, le Jaish-e-Mohammed, et Azhar se retrouva rapidement derrière des actes terroristes, essentiellement au Cachemire. Lors de ses nombreuses attaques, le Jaish-e-Mohammed a travaillé avec l'ISI, Saïd et Azhar. Par exemple, peu après l'attentat à la bombe d'octobre 2001 au Cachemire, les services de renseignements indiens ont soutenu que le président pakistanais Musharraf avait reçu un enregistrement d'un appel téléphonique entre le chef du Jaish-e-Mohammed, Maulana Massoud Azhar et le Directeur Mahmoud [Mahmoud Ahmad], dans lequel Azhar rapportait que l'attaque à la bombe avait été un "succès"." A en croire Thompson, qui se base uniquement sur des articles de presse, le Jaish-e-Mohammed marchait donc main dans la main avec l'ISI. Quant à Omar Sheikh, il coopérait avec l'un et l'autre (comme d'ailleurs avec Al-Qaïda).

Voici un deuxième passage de l'article de Thompson : "[Omar Sheikh] travaillait pour Ijaz Shah, un ancien fonctionnaire de l'ISI qui s'occupait de deux groupes terroristes, pour le général de corps d'armée Mohammed Aziz Khan, lui aussi un ancien chef-adjoint de l'ISI en charge des relations avec le Jaish-e-Mohammed, et pour le général de Brigade Abdulhah, un ancien officier de l'ISI." S'il est difficile d'identifier clairement la personne à laquelle pensait Benazir Bhutto, il ne fait pas grand doute qu'il s'agissait d'un membre de l'ISI. Ils sont quelques-uns à répondre aux critères énoncés par l'ex-Premier ministre : Mahmoud Ahmad (évoqué dans le premier passage) est un ancien officier militaire (général de corps d'armée et chef de l'ISI), dont on dit qu'il a été lié avec Maulana Azhar dans une opération terroriste au Cachemire, et qui est aussi très largement soupçonné d'avoir financé les pirates du 11-Septembre, par l'entremise justement d'Omar Sheikh. Mais il n'est plus aujourd'hui un personnage clé dans la sécurité ; depuis le 30 avril 2003, il est le PDG de la Fauji Fertilizer Company. Ijaz Shah semble mieux correspondre au portrait-robot dressé par Benazir Bhutto : ancien général de brigade et membre de l'ISI, connu pour ses liens avec les terroristes, c'est à lui que s'était secrètement rendu Omar Sheikh le 5 février 2002, lorsque son rôle dans l'enlèvement de Daniel Pearl avait été découvert. Shah l'avait alors retenu et briefé durant toute une semaine, avant de le remettre à la police pakistanaise. Mohammed Aziz Khan, remarquons-le, aurait aussi le bon profil, fortement lié à la fois à Omar Sheikh et au Jaish-e-Mohammed...

Le lourd bilan de l'ISI

Si l'ISI était impliquée dans l'assassinat de Benazir Bhutto, l'addition commencerait à être sévèrement corsée pour l'agence gouvernementale pakistanaise... dont l'implication a déjà été évoquée dans l'assassinat du commandant Massoud le 9 septembre 2001 (par l'Alliance du Nord : "Ahmed Shah Massoud a été la cible d'une tentative d'assassinat organisée par l'ISI pakistanaise et Oussama Ben Laden") ; puis dans le financement du 11-Septembre, via son directeur Mahmoud Ahmad, voire dans son organisation même, via un ancien chef de l'ISI, Hamid Gul (selon le Washington Times du 23 juillet 2004, qui relayait un document émanant d'une source haut placée au Pakistan : "L’ISI était pleinement impliquée dans la conception et le soutien de toute l’affaire [...]. J’ai des raisons de penser qu’Hamid Gul était le cerveau d’Oussama Ben Laden") ; et encore dans l'attentat-suicide raté de Richard Reid (selon Roland Jacquard et Atmane Tazaghart dans Le Figaro du 20 juillet 2007 : "Ce membre de l'ISI [Khalid Khawaja] est celui qui servait d'instructeur pour les explosifs dans les camps d'al-Qaida, notamment à Shakar Dara. C'est lui qui avait manipulé Richard Reid, cet Anglais qui avait essayé de faire exploser l'avion du vol Paris-Miami le 22 décembre 2001 à l'aide d'explosifs cachés dans ses chaussures") ; enfin, dans l'enlèvement, le 23 janvier 2002, et la décapitation de Daniel Pearl, qui, précisément, enquêtait sur les liens entre Richard Reid et Al-Qaïda, et "sur ceux qui avaient commandité l'attentat" de Reid (c'est-à-dire l'ISI, selon Le Figaro...). Sans parler de l'inquiétante menace lancée, le 22 juillet 1999, à l'endroit des Twin Towers par l'agent de l'ISI Rajaa Gulum Abbas ("Ces tours-là vont s'écrouler"), et qu'avait rapportée l'agent secret Randy Glass à plusieurs officiels américains bien avant le 11-Septembre...

Benazir Bhutto n'a peut-être fait qu'un maladroit lapsus au sujet de la mort d'Oussama Ben Laden. Mais ce lapsus était probablement plus révélateur qu'il n'y paraissait au premier abord, car en tissant un lien, même inconsciemment, entre ses agresseurs (et futurs assassins) et les commanditaires du 11-Septembre, elle visait sans doute juste. Où que l'on regarde dans ces histoires, tout converge toujours vers l'ISI. L'étau se resserre. Une question, lourde et insistante, demeure en suspens : pourquoi les Etats-Unis n'ont-ils, à ce jour, jamais pris la moindre sanction vis-à-vis du Pakistan et des agents de l'ISI manifestement impliqués dans tous ces crimes ? Pourquoi le silence gêné de Condoleezza Rice, celui de Thomas Kean (Loose Change Final Cut, 15e minute) et de Lee Hamilton, président et vice-président de la Commission d'enquête sur le 11-Septembre, lorsqu'on leur demande de réagir à la visite officielle de Mahmoud Ahmad à Washington dans la semaine des attentats, et sur le transfert de 100 000 dollars en direction de Mohammed Atta qui lui est attribué par différents journaux de renom, dont le Wall Street Journal ? A quoi joue l'administration Bush depuis le 11-Septembre, et peut-être même avant ? La question mérite enfin d'être posée. Avec insistance.

Pour plus d'information sur Omar Saeed Sheikh et l'ISI, lire l'article de Paul Thompson Les nombreux visages de Saïd Cheikh : il vous plonge réellement dans des abîmes de perplexité...

05 octobre 2007

A Tribute to Carl Lewis

Finale du 100m à Los Angeles en 1984 et naissance de la légende. Lewis remporte 4 médailles d'or lors de ces Jeux Olympiques : 100m, 200m, 4 x 100m, et saut en longueur.



Les années 80 marquées par le duel avec Ben Johnson. Lors de la finale du 100m des JO de Séoul en 1988, le Canadien pulvérise le record du monde en 9'79... avant d'être déclassé pour dopage. Il faudra attendre 17 ans pour qu'un homme aille plus vite, dans des conditions régulières, avec Asafa Powell en 9'77.



Peu avant le duel de Séoul, lors des sélections américaines, Lewis claque un chrono phénoménal de 9'78 ! Mais avec un vent trop favorable pour être homologué.



Record du monde du 100m pour Carl Lewis aux championnats du monde de Tokyo en 1991 : 9'86 ! Ce temps restera la meilleure performance de Lewis en conditions régulières. Et cette course la plus rapide de tous les temps, avec 6 hommes sous les 10 secondes : Leroy Burrel, 2e, améliore son propre record du monde (9'90) en 9'88 ; Dennis Mitchell, auteur d'un départ canon, est 3e en 9'91 ; Linford Christie suit à la 4e place en 9'92 et bat le record d'Europe ; Frankie Fredericks, 5e, bat le record d'Afrique en 9'95 ; et le Jamaïcain Raymond Stewart, 6e, signe un formidable 9'96.



La finale des championnats du monde du 100m de 1983 à 1995 : des trois titres de Lewis à celui de Donovan Bailey, en passant par le sacre de Linford Christie à Stuttgart en 1993 (à noter un petit bidouillage dans le montage de la BBC, qui ne diffuse pas la vraie finale de 1987 à Rome, où Ben Johnson bat Carl Lewis, avant d'être déchu de son titre suite au scandale de Séoul ; on préfère ici nous montrer une autre course, où Lewis bat Johnson).



La progression du record du monde du 4 x 100m de 1977 à 1992, avec les fameuses dernières lignes droites de Carl Lewis. Le record de 1992, réalisé aux JO de Barcelone, tient toujours ! Un record du 4 x 100 qui a appartenu aux Français en 1990, avec la superbe équipe formée de Max Morinière, Daniel Sangouma, Jean-Charles Trouabal et Bruno Marie-Rose.




Carl Lewis a remporté 10 médailles olympiques, dont 9 en or, de 1984 à 1996, raflant au passage tous les titres à la longueur. Il a aussi remporté 10 médailles aux championnats du monde, dont 8 en or, de 1983 à 1993. Il a été désigné athlète mondial des années 80 et athlète olympique du siècle. Ses records personnels : 9'86 sur 100m (1991), 19'75 sur 200m (1983), et 8m87 à la longueur (1991). Il co-détient le record du monde du 4 x 100m en 37'40 (1992).

Carl Lewis peut être considéré comme le plus grand sauteur en longueur de tous les temps : songeons à ses 4 titres olympiques étalés sur 12 ans ! Sa régularité à plus de 8m50 est unique : souvenons-nous de son invraisemblable série de Tokyo en 1991 : 8m68, 8m83, 8m91 -avec un vent au-delà de la limite autorisée-, 8m87 et 8m84, même s'il sera finalement battu ce jour-là sur un saut d'anthologie de Mike Powell à 8m95, qui effaça alors le vieux record du monde de Bob Beamon -8m90- établi à Mexico en 1968. Cet affrontement titanesque entre Lewis et Powell marque le sommet de l'histoire du saut en longueur. Lewis est bien sûr le plus grand sprinter-sauteur de tous les temps.

Même si, sur le 100m, de nombreux coureurs l'ont dépassé en terme de performance (Asafa Powell -9'74-, Maurice Greene -9'79-, Donovan Bailey, Bruny Surin, Tyson Gay -9'84-, Leroy Burrel, Olusoji Fasuba -9'85-), il demeure la référence en matière d'élégance de course et de style, de grâce. Il a remporté tous les titres majeurs sur 100m entre 1983 et 1991 : 2 titres olympiques (record) et 3 titres mondiaux (record co-détenu avec Maurice Greene).

Les records de Ben Johnson (9'79 en 1988 et 9'83 en 1987), Tim Montgomery (9'78 en 2002) et Justin Gatlin (9'77 en 2006) ont été effacés des tablettes pour cause de dopage. Au final, Asafa Powell apparaît, en valeur absolue, comme le sprinter le plus fort qu'on ait connu : il a couru 5 fois sous les 9'80 : 9'74, 9'77 à trois reprises et 9'78. Il écrase la discipline. Maurice Greene reste à ce jour, et de très loin, le coureur le plus régulier sous les 10 secondes. Ato Boldon et Frankie Fredericks sont également à saluer pour leur très grande régularité sous ce chrono symbolique. Carl Lewis semble devoir rester à jamais l'icône éternelle de ce sport.

17 septembre 2007

11 septembre 2007

J'ai financé le 11-Septembre et tout le monde s'en fout !

A l'heure où tout un chacun rêve de devenir une célébrité, quitte à n'avoir rien fait pour le mériter, il est des êtres qui ont beau se démener dans les actions les plus spectaculaires qui soient, ils demeurent désespérément ignorés, ne parvenant guère à attirer la lumière sur eux. C'est le cas du général Mahmoud Ahmad, probable financier des attentats du 11-Septembre - événement sans conteste le plus marquant de ce début de siècle -, et que l'on laisse à son triste anonymat. De grands médias avaient bien braqué leur regard sur lui dès les premières semaines post-attentats. Mais rien n'y fait : Mahmoud Ahmad n'intéresse pas. Il n'a pas l'étoffe d'une star. L'ancien chef des services secrets pakistanais reste un homme de l'ombre, qui semble voué à une retraite paisible sur ses terres. Lumière - tamisée - sur un suspect incroyablement tabou. (Au-delà de cet homme, c'est le rôle du Pakistan dans l'organisation du 11-Septembre qui est interrogé.)

Dans les jours qui suivent le 11-Septembre, les enquêteurs sont à la recherche des traces financières laissées par les terroristes. C'est grâce à elles qu'ils pourront remonter la chaîne de commandement des attentats, jusqu'aux commanditaires eux-mêmes. Le 1er octobre 2001, le FBI découvre un lien entre les pirates de l’air et Al-Qaïda, à travers un transfert d’argent au profit de Mohammed Atta, le leader des kamikazes, en Floride (BBC, 1er octobre 2001). Le 6 octobre, CNN révèle que Mohammed Atta a reçu de l’argent venant du Pakistan et que le financier serait Omar Saeed Sheikh, un Britannique d’origine pakistanaise, diplômé de l'école des Sciences Economiques de Londres, parlant cinq langues, mais surtout connu pour être l’un des financiers d’Al-Qaïda. Toute la presse publie l’information, mais omet de dire que Sheikh n’est pas seulement un agent d’Al-Qaïda, mais aussi de l’ISI, l'agence de renseignement militaire du Pakistan (voyez le remarquable portrait de ce personnage clé tracé par Paul Thompson, l'auteur du site Complete 9/11 Timeline, la plus grande base de données médiatiques sur le 11-Septembre).

Révélation

Le 7 octobre, c'est le début de la guerre en Afghanistan. Ce même jour, on apprend discrètement que Mahmoud Ahmad est renvoyé de son poste de directeur de l’ISI. Mais le lendemain, le journal pakistanais The Dawn lance une véritable bombe (comme l'indien Press Trust of India) : "Mahmoud Ahmad a été remplacé après que les enquêteurs du FBI aient établi un lien crédible entre lui et Omar Sheikh [...]. Des sources bien informées disent qu'il y avait suffisamment d'indications pour les agences de renseignement américaines montrant que c'est à la demande du général Mahmoud que Sheikh a transféré 100 000 dollars US sur le compte de Mohammed Atta..." Ce sont les services secrets indiens qui sont à l'origine de la révélation. Le 9 octobre, le très respecté Times of India la reprend : le FBI possède des preuves crédibles que "100 000 dollars on été envoyés au pirate du WTC Mohammed Atta du Pakistan par Omar Saeed Sheikh, sur les ordres du général Mahmoud Ahmad". Le transfert a lieu le 11 août 2001, et l'argent émane d'une rançon payée au gangster indien Aftab Ansari, suite à un kidnapping (Times of India, 14 février 2002). Un autre transfert de 100 000 dollars attribué à Sheikh et Ahmad a lieu un an plus tôt, durant l'été 2000, une période durant laquelle l'agent de l'ISI et d'Al-Qaïda adresse de nombreux appels à son directeur.

L'information est énorme, et pourtant elle franchit difficilement les frontières indienne et pakistanaise. Le 10 octobre, le Wall Street Journal y consacre une brève. L’AFP et l’Australian la répercute aussi. Le 15 octobre, c'est au tour d'India Today, le 18 octobre du Daily Excelsior, et puis, plus tard, le 24 février 2002 du Sunday Herald, et le 21 avril 2002 du London Times. A en croire le député travailliste Michael Meacher, ministre de l'Environnement de Tony Blair entre 1997 et 2003, l'information aurait été confirmée par le directeur de la section financière du FBI, Dennis Lormel (Guardian, 10 septembre 2005). En France, Bernard-Henri Lévy la relaie en mai 2003 dans son best-seller Qui a tué Daniel Pearl ?. Pages 383 et 384, il effectue une bonne revue de presse internationale sur le sujet. Pages 385 à 387, il juge "à peu près certain" le lien entre Ahmad et Sheikh au sein de l’ISI, et pose la question, "que l’on ne peut plus esquiver, de la responsabilité des services pakistanais, ou d’une faction de ces services, dans l’attaque contre l’Amérique et la destruction des Tours : […] comment ne pas penser […] que l’attentat du 11 septembre a été voulu et financé – au moins en partie – par les barbouzes d’un pays officiellement "ami", membre de la coalition antiterroriste et ayant offert aux Etats-Unis son aide logistique et ses sources de renseignement ?".

Dissimulation

Le 22 juillet 2004, lorsque paraît le rapport final de la Commission d'enquête sur le 11-Septembre, on ne trouve pas la moindre allusion à ces accusations. Le but explicite du rapport était pourtant de "fournir le récit le plus complet possible des événements entourant le 11/9". Le nom de Omar Saeed Sheikh n'apparaît pas une fois, celui de Mahmoud Ahmad est mentionné deux fois, pages 331 et 333, au sujet notamment de l'entrevue qu'il eut le 13 septembre 2001 avec le sous-secrétaire d'Etat Richard Armitage sur l'aide, déclinée en sept points, que le Pakistan devait apporter aux Etats-Unis. Le jour même, Michael Meacher publiait un article dans le Guardian, intitulé "The Pakistan connection", où il s'étonnait de cette omission : "Il est incroyable que ni Ahmad ni Sheikh n'ait été inculpé et traduit en justice pour ce chef d'accusation. [...] Quand Ahmad a été exposé par le Wall Street Journal comme ayant envoyé l'argent aux pirates, il a été forcé de se retirer par le président Pervez Musharraf. Pourquoi les Etats-Unis n'ont-ils pas demandé à ce qu'il soit interrogé et traduit en justice ?" Le rapport de la Commission conclut au sujet du financement du 11-Septembre, page 172 : "A ce jour, le gouvernement des Etats-Unis n'a pas été capable de déterminer l'origine des sommes utilisées pour les attaques du 11/9. En fin de compte, cette question n'a pas beaucoup de signification pratique."

Coïncidence ?

Si vous avez été attentif au paragraphe précédent, vous avez remarqué que, le 13 septembre, Mahmoud Ahmad discute avec Richard Armitage... En effet, étonnante coïncidence, du 4 au 13 septembre 2001, le directeur de l'ISI est en visite officielle à Washington : il y rencontre longuement des officiels de la Maison Blanche et du Pentagone, surtout le sous-secrétaire d'Etat pour les Affaires politiques Mark Grossman (The News, 10 septembre 2001). Le 9 septembre, il s'entretient avec le directeur de la CIA, George Tenet. Celui-ci racontera dans ses mémoires, publiées en 2007, qu’il essaya alors de pousser Ahmad à faire quelque chose au sujet du soutien des Taliban à Ben Laden, mais que le patron de l'ISI n'était pas disposé à faire quoi que ce soit. Le 11 septembre au matin, le financier de l'attaque qui va frapper l'Amérique prend son petit-déjeuner au Capitole, en compagnie du sénateur démocrate Bob Graham, président du Comité du renseignement du Sénat, du représentant républicain Porter Goss, président du Comité du renseignement de la Chambre, du sénateur républicain Jon Kyl, et de l’ambassadeur pakistanais aux Etats-Unis Maleeha Lodhi. La conversation du jour porte sur le terrorisme venant d’Afghanistan et, plus particulièrement, Ben Laden. Ça tombe bien...

Disparaître

Dans les jours qui suivent, Mahmoud Ahmad établit un partenariat de lutte contre le terrorisme avec les Etats-Unis, qu'il assure, avec le président Musharraf, de son inconditionnel soutien. Il est chargé d'aller visiter le chef des Taliban, le Mollah Omar, pour lui demander d'extrader Ben Laden. Mais l'on apprendra qu'en définitive, il lui conseilla de ne pas le livrer et de résister aux Américains (Time, 29 avril 2002). Ahmad est trop proche des Taliban, dont il partage le fondamentalisme, pour rester en place. Et surtout, sa participiation au financement du 11-Septembre s'ébruite dans la presse. Au moment où la guerre américaine contre les Taliban commence, le 7 octobre, il est poussé vers la sortie (Guardian, 9 octobre 2001). Celui qui avait permis au général Musharraf de réussir son coup d'Etat et de parvenir au pouvoir le 12 octobre 1999, et qui en avait été justement remercié en étant nommé chef de l'ISI, se retire sur la pointe des pieds, et va se tapir dans l'ombre, se faire oublier pour un bon moment.

Réapparaître

Il est rapporté qu'Ahmad est alors assigné à résidence (Asia Times, 5 janvier 2002). Cette mesure prise à son endroit suggérerait qu'il a été écarté pour davantage qu'une simple divergence d'opinion au sujet des Taliban. Il refusera de parler à la presse suite à son renvoi (Associated Press, 21 février 2002), et il faudra attendre le 30 avril 2003 pour le voir refaire surface. En businessman ! Il réapparaît, en effet, à la tête d'une filiale d'un important consortium industriel. Le New Yorker fera remarquer que c'est "une place qui nécessite un soutien du gouvernement" (The New Yorker, 4 août 2003, page 3). Le nouvel homme d'affaires s'adresse à quelques journalistes sélectionnés, mais refuse "de parler au sujet des rumeurs de sa détention après qu'il ait été remplacé" (Daily Times, 1er mai 2003).

Audaces

Pendant ce temps, que font les médias ? Ils ignorent l'affaire Mahmoud Ahmad. La "Pakistan connection" ne les intéresse pas. Un journaliste va pourtant oser l'aborder. Nous sommes le 16 mai 2002 à la Maison Blanche. La Conseillère à la Sécurité nationale Condoleezza Rice tient une conférence de presse. Après plus de trente minutes de questions usantes, alors qu'on touche à la fin de l'exercice de communication, survient l'improbable question, l'incroyable secousse sismique ; un journaliste indien interroge Rice sur la visite du directeur de l'ISI à Washington le 11 septembre 2001. Rice ne semble pas comprendre de quoi on lui parle. Elle prétend ne pas l’avoir rencontré, et même n’avoir pas eu connaissance de sa visite (pourtant officielle et longue de dix jours), pas plus que des accusations de financement du 11-Septembre qui pèsent sur lui (voir 9/11 Press For Truth à 1h08). Circulez, y a rien à voir... Le 21 août 2006, le vice-président de la Commission d'enquête sur le 11-Septembre sera interrogé par CBC News sur ce même sujet. Sa réponse, qui laisse rêveur : "Je ne sais rien de tout cela."

Face à ce silence gêné, la presse a donc peu réagi, se contentant parfois de constater que rien ne se faisait pour explorer sérieusement la piste pakistanaise : "Un transfert d'argent de Karachi pour les pirates en Floride n'a jamais été entièrement examiné ou expliqué. Ahmad n'a jamais été convoqué pour s'expliquer là-dessus..." (Times of India, 10 août 2004). Mais parfois, la presse se lâche et ose avancer des hypothèses très politiquement incorrectes : "Si Mahmoud Ahmad était réellement impliqué dans le 11-Septembre, cela signifierait que l’ISI – "l’Etat à l’intérieur de l’Etat" – serait au courant de tout. Et si une élite du renseignement au Pakistan le savait, une élite du renseignement en Arabie Saoudite le saurait, aussi bien qu’une élite du renseignement aux Etats-Unis" (Asia Times, 8 avril 2004). Même son de cloche chez Daniel Ellsberg, ancien informateur du ministère de la Défense, cité par Michael Meacher : "Il me semble tout à fait probable que le Pakistan était franchement impliqué dans tout cela... Dire le Pakistan, c'est, pour moi, dire la CIA parce que... il est difficile de penser que l'ISI savait quelque chose dont la CIA n'avait pas connaissance".

Les Etats-Unis connaissaient-ils le rôle de l'ISI avant le 11-Septembre ? Et le jour même des attaques ? Ou ont-ils attendu que les services secrets indiens leur apportent la nouvelle au début du mois d'octobre ? Les officiels de la Maison Blanche et du Pentagone qui ont rencontré Mahmoud Ahmad dans la semaine du 11-Septembre avaient-ils eu vent de ses activités terroristes ou non ? Et les présidents des comités du renseignement du Sénat et de la Chambre, Bob Graham et Porter Goss, étaient-ils dans la plus parfaite ignorance des activités suspectes de leur hôte, avec lequel ils partageaient leur petit-déjeuner au moment même où les tours s'enflammaient ?

"Ces tours-là vont s'écrouler"

Un homme a peut-être la réponse : il s'appelle Randy Glass. A la fin des années 90, cet ancien escroc reconverti en agent secret s’est infiltré dans un réseau de vente d’armes terroristes dans le cadre de l’opération secrète "Diamondback", une vaste enquête menée par le FBI et le Bureau de Contrôle des Alcools, du Tabac et des Armes à feu. Le 22 juillet 1999, il est à New York pour une réunion dans un restaurant avec trois de ses contacts. L’un d’eux, Rajaa Gulum Abbas, veut acheter des systèmes d’armes sophistiqués en grande quantité (missiles Stinger, matériel nucléaire, etc.) pour le compte d’Oussama Ben Laden. Abbas se présente comme un agent de l’ISI. Au cours de la conversation, Randy Glass lui demande quelles sont ses intentions. Après le dîner, alors qu’ils marchent dehors, Abbas regarde les tours du World Trade Center et déclare : "Ces tours-là vont s’écrouler" (Dateline NBC, 2 août 2002 ; Cox News, 2 août 2002 ; The Palm Beach Post, 17 octobre 2002 ; OpEd News, 7 septembre 2004 ; voir 9/11 Press For Truth, 1h09). L'ISI aurait eu le projet d'abattre les tours du WTC ?

Alerte

En août 2001, alors que sa mission est terminée, Randy Glass va informer l'équipe du sénateur Bob Graham et du représentant Robert Wexler qu'un agent pakistanais travaillant pour les Talibans, R.G. Abbas, a fait mention à trois reprises d'un plan imminent pour attaquer le WTC. Mais ses avertissements sont ignorés (The Palm Beach Post, 17 octobre 2002). Graham a-t-il reçu, en temps et en heure, l'information brûlante que Glass avait transmise à son équipe ? Il faudra attendre 2002 pour en avoir une idée, le temps que l'affaire intéresse quelques très rares médias. Le 2 août, la chaîne Dateline NBC révèle l’histoire de Randy Glass, et réussit même à joindre R.G. Abbas au Pakistan par téléphone (Dateline NBC, 2 août 2002). Mais NBC n'inclut pas dans son montage final la révélation la plus forte de Randy Glass, selon laquelle Abbas avait menacé de faire s'effondrer les tours du WTC, pas plus d'ailleurs que la menace qu'aurait reçue Glass de la part d'un agent du FBI, Steve Bernowski : s’il parlait de son affaire, il serait accusé d’entrave à la justice (voir 9/11 Press For Truth, 1h10'45). Il faudra attendre le 17 octobre 2002 pour que le Palm Beach Post publie l’histoire complète de Randy Glass.

Mais dès le 7 octobre 2002, WPTV, une chaîne de NBC TV en Floride, diffusait un reportage saisissant sur les menaces d'attaques du WTC que Randy Glass avaient portées à la connaissance du sénateur de Floride, Ron Klein, trois mois avant le 11-Septembre. Klein dit avoir contacté le bureau en Floride du sénateur Bob Graham. Selon Jill Greenberg, porte-parole de Graham, celui-ci fut averti durant l'été 2001 des avertissements de Glass, avant le 11-Septembre. Graham confirma dans un premier temps cette version, précisant qu'il avait transmis l'information à l'agence de renseignement "la plus appropriée" (sans dire laquelle). Mais plus tard, il corrigera sa déclaration, prétendant que la communauté du renseignement n'avait été avertie de l'histoire de Glass qu'après le 11-Septembre.

Un drôle de petit déjeuner

En prenant son p'tit déj' avec le chef de l'ISI le matin du 11-Septembre, Bob Graham a-t-il pensé à Randy Glass quand il a appris, le nez dans ses corn flakes, que le WTC était attaqué et s'était écroulé ? Comment a-t-il considéré son hôte pakistanais ? Et que pouvait bien ressentir Mahmoud Ahmad, financier du carnage, devant ses tartines et son jus de fruit, parlementant de terrorisme afghan et de Ben Laden, dans l'antre doré de l'ennemi américain ? De la jubilation ? Et le soir même, quand les Etats-Unis signaient un partenariat de lutte contre le terrorisme avec le Pakistan, par l'intermédiaire de Mahmoud Ahmad, financier du 11-Septembre et chef de R.G. Abbas, l'homme qui menaçait de faire s'écrouler les tours, qu'y avait-il dans les têtes de tout ce beau monde ? Situation ubuesque au possible.

Tension et menace

La négociation du partenariat semble avoir été tendue. Il sera rapporté que Richard Armitage menaça Mahmoud Ahmad de bombarder le Pakistan et de le ramener à "l’âge de pierre" s’il n’apportait pas son aide aux Etats-Unis (Deutsche Presse-Agentur, 12 septembre 2001 ; LA Weekly, 7 novembre 2001). George W. Bush, de son côté, téléphona au président pakistanais Pervez Musharraf et lui demanda instamment de choisir son camp. Musharraf l'assura de son soutien inconditionnel. Mais il mit trois jours pour l'officialiser. Dans ce laps de temps, il y eut un troublant incident, qui fait sentir l'extrême tension qui régnait. Le 13 septembre, George W. Bush déclarait certes : "Nous donnerons au gouvernement pakistanais une chance de coopérer, alors que nous partons à la chasse de ceux qui ont commis cet acte incroyable et répugnant contre l’Amérique" (voir 9/11 Press For Truth, 1h). Mais du côté d'Islamabad, la capitale du Pakistan, l'aéroport était étonnamment fermé pour la journée. Un membre du gouvernement dira que des intérêts stratégiques pakistanais avaient été menacés, sans plus de précision. Le lendemain, alors que le Pakistan assurait les Etats-Unis d'un soutien "généreux", l'aéroport était rouvert. Il sera suggéré plus tard qu'Israël et l'Inde avaient menacé d'attaquer le Pakistan et de prendre le contrôle de son armement nucléaire s'il ne se ralliait pas aux Etats-Unis (LA Weekly, 6 novembre 2001). Autant de tension ne suggère-t-elle pas la connaissance du rôle du Pakistan ou de ses services secrets dans les attentats qui venaient d'avoir lieu ?

Encore des coïncidences ?

L'implication pakistanaise - mais aussi saoudienne - semble confirmée par d'étonnantes révélations contenues dans le livre de l’écrivain américain Gerald Posner Why America Slept : The Failure to Prevent 9/11, et rapportées par Newsday le 2 septembre 2003. Posner se base sur des informations obtenues auprès d’un agent de la CIA et d’un membre du gouvernement Bush. D’après lui, un membre éminent d’Al-Qaïda, Zubaydah, a révélé lors d’un interrogatoire que trois princes saoudiens et un officier pakistanais étaient au courant de la préparation des attentats. L’un des trois princes saoudiens est Ahmed Bin Salman Bin Abdul Aziz, le neveu du roi Fahd et un magnat de l’édition saoudienne. Le Pakistanais est Ali Mir, en charge de l’armée de l’air pakistanaise. Les deux autres princes auraient servi d’intermédiaires pour financer les Taliban et Al-Qaïda, en échange de la promesse faite à l’Arabie Saoudite qu’elle ne subirait pas d’attaque terroriste de leur part. Les quatre suspects sont depuis morts dans de curieuses circonstances. Le prince Ahmed est mort à l’âge de 43 ans d’une crise cardiaque en juillet 2002. Le lendemain mourait le deuxième prince d’un accident de la route. Une semaine plus tard, c’était au tour du troisième de mourir officiellement "de soif dans le désert". Enfin, sept mois plus tard, le maréchal pakistanais trouvait la mort dans un accident d’avion (voir aussi Eric Laurent, Tout le monde en parle sur France 2, 13e minute). Une coïncidence de plus...

Les tourments de Bob

Bob Graham, président du Comité du renseignement du Sénat, a maintes fois affirmé que des Etats étrangers avaient participé aux attentats du 11-Septembre. Et il a maintes fois pesté contre l'administration Bush qui censure les informations qui pourraient le prouver. Le 24 juillet 2003, un panel regroupant les comités de surveillance du Sénat et de la Chambre des Représentants américains publie, en dépit des réticences de la Maison Blanche, son rapport sur les attentats. Sur un total de près de 900 pages, la Maison Blanche est parvenue à en censurer 28 concernant, d’après de nombreuses fuites apparues dans la presse, l’implication du gouvernement saoudien dans la préparation et le financement des attentats. D'après le New York Times, les pages censurées indiqueraient que deux des pirates de l'air, Nawaf Alhazmi et Khalid Almihdhar, étaient en contact à San Diego avec deux Saoudiens, Omar al-Bayoumi et Osama Bassnan, probables agents du renseignement saoudien (Associated Press, 29 juillet 2003 ; The New Republic, 1er août 2003 ; The New York Times, 2 août 2003).

Mais le Pakistan pourrait être aussi visé par le rapport. En effet, le 11 décembre 2002, alors que le rapport est déjà achevé et la censure des 28 pages connue, Bob Graham met en cause "des gouvernements étrangers [au pluriel] [...] impliqués dans l'aide aux activités d'au moins quelques-uns des terroristes aux Etats-Unis", ajoutant : "Pour moi, c'est une question extrêmement importante et la plus grande partie de cette information est classifiée, je pense sur-classifiée. Je crois que le peuple américain devrait connaître l'étendue du défi auquel nous sommes confrontés en termes d'implication de gouvernements étrangers. [...] Je pense qu'il y a une preuve très convaincante qu'au moins quelques-uns des terroristes étaient assistés pas seulement dans le financement - bien que cela en ait fait partie - par un gouvernement étranger souverain et que nous avons failli à notre devoir de débusquer tout cela […]. Cela sera rendu public un jour ou l'autre lorsque le dossier sera déclassé, mais ce sera dans 20 ou 30 ans" (PBS, 11 décembre 2002 ; voir 9/11 Press For Truth, 1h07).

Le 2 février 2004, il en rajoute une couche, il continue de se plaindre des pages censurées du rapport, et déclare : "L'administration Bush n'a pas seulement échoué à enquêter sur la participation d'un gouvernement étanger, elle a utilisé à mauvais escient la procédure de classification pour protéger les gouvernements étrangers qui ont pu être impliqués dans le 11-9. Il n'y a aucune raison pour l'administration Bush de continuer à protéger de soi-disant alliés qui soutiennent, directement ou indirectement, des terroristes qui veulent tuer des Américains."

Juste pour rire

George W. Bush censure des pages d'un rapport officiel qui semble prouver l'implication de l'Arabie Saoudite, et peut-être du Pakistan (en tout cas, Graham parle de plusieurs pays), mais il fait dans le même temps de jolis discours plein de bravoure sur sa volonté de fer à combattre les terroristes et leurs soutiens étatiques. Ainsi, le 1er mai 2003, le président américain déclare sur le pont d'envol du porte-avions Abraham Lincoln : "Toute personne impliquée dans la perpétration ou la planification des attaques terroristes contre le peuple américain devient un ennemi de ce pays et une cible de la justice américaine. Toute personne, organisation ou gouvernement qui soutient, protège ou héberge des terroristes est complice du meurtre de l'innocent et également coupable des crimes terroristes. Tout régime hors-la-loi qui entretient des liens avec des groupes terroristes et cherche ou possède des armes de destruction massive constitue un grave danger pour le monde civilisé et sera affronté" (CNN). La personne : Mahmoud Ahmad ? L'organisation : l'ISI ? Le régime : le Pakistan ? Il y a de l'ironie à ce que ces belles paroles aient été prononcées le lendemain du retour au grand jour du terroriste Mahmoud Ahmad à un poste prestigieux qui exigeait, pour l'obtenir, le soutien du gouvernement pakistanais...

Indices à la pelle

Enfonçons encore un peu plus sur le clou au sujet des liens flagrants entre le régime de Musharraf et Al-Qaïda. Le 30 avril 2001, le Département d’Etat américain publie son rapport Modèles de terrorisme global pour l’année 2000. Il décrit le Pakistan comme un soutien matériel, financier et militaire des Taliban, eux-mêmes soutiens du terrorisme international et de Ben Laden. Il est également dit que le Pakistan échoua à prendre les dispositions nécessaires pour freiner les activités de certaines madrasas, ou écoles religieuses, qui servent de bases de recrutement pour le terrorisme. Le 9 septembre, le commandant Massoud, leader de l'Alliance du Nord, est officiellement assassiné par deux agents d'Al-Qaïda qui se font passer pour des journalistes marocains (BBC, 10 septembre 2001). Mais le lendemain, l'Alliance du Nord fait cette déclaration : "Ahmed Shah Massoud a été la cible d'une tentative d'assassinat organisée par l'ISI pakistanaise et Oussama Ben Laden" (Reuters, 4 octobre 2001 : "deux terroristes qui étaient envoyés par Oussama Ben Laden, les services du renseignement du Pakistan, et les Talibans"). Le 10 septembre, Ben Laden est soigné dans un hôpital militaire à Rawalpindi au Pakistan pour une dialyse des reins, escorté, d’après un employé de l’hôpital, par l’armée pakistanaise (CBS News, 28 janvier 2002 : voir 9/11 Press For Truth, 57e minute). Le 11 septembre 2002, on arrête Ramzi bin al-Shaibah au Pakistan (The Observer, 15 septembre 2002). Il est considéré comme l'un des leaders d'Al-Qaïda et l'une des rares personnes encore vivantes à connaître de l'intérieur les détails de l'opération du 11-Septembre (The New York Times, 13 septembre 2002). Autour du 1er mars 2003, on arrête Khalid Shaikh Mohammed, le "cerveau" du 11-Septembre, au Pakistan (Associated Press). Et déjà le 7 février 1995, on procédait à l'arrestation de Ramzi Youssef, l'organisateur de l'attentat à la bombe contre le WTC en 1993, au Pakistan, dans une maison appartenant à Ben Laden.

ISI et Al-Qaïda : inséparables

Les liens entre l'ISI et Al-Qaïda étaient encore mis en évidence dans un récent article édifiant de Roland Jacquard et Atmane Tazaghart, paru dans Le Figaro du 20 juillet 2007, et intitulé "Pakistan : la Mosquée rouge, centre névralgique d'al-Qaida". On y apprenait que cette mosquée, véritable "centre de recrutement et de formation de terroristes", "était fréquentée par les plus hautes autorités religieuses et militaires du Pakistan. Les généraux y tenaient leurs rendez-vous secrets. [...] Un agent de l'ISI résidait même en permanence à l'intérieur de la mosquée et assurait la protection des radicaux qui s'y réfugiaient. [...] Ce membre de l'ISI est celui qui servait d'instructeur pour les explosifs dans les camps d'al-Qaida, notamment à Shakar Dara. C'est lui qui avait manipulé Richard Reid, cet Anglais qui avait essayé de faire exploser l'avion du vol Paris-Miami le 22 décembre 2001 à l'aide d'explosifs cachés dans ses chaussures". Les derniers mots de l'article étaient : "Naturellement des questions restent posées sur le développement d'une telle situation dans la Mosquée rouge, à moins de 500 mètres du siège central des services secrets pakistanais, du quartier général des forces saintes pakistanaises et à quelques centaines de mètres du palais présidentiel et du ministère de l'Intérieur !"

Si l'ISI soutient largement Ben Laden, c'est aussi elle qui l'avait mis en relation avec les leaders taliban dès 1996 : "Le but du Pakistan était de convaincre les Taliban de laisser Ben Laden faire fonctionner des camps d'entraînement pour des militants du Cachemire soutenus par l'ISI. Les Taliban acceptèrent. En retour, Ben Laden construisit une maison pour leur chef, le Mollah Omar, et finança certains autres de leurs hauts responsables" (Slate, 9 octobre 2001).

Omar, l'agent (au moins) double

Si tout cela ne suffisait pas, il y a aussi l'affaire de l'enlèvement (le 23 janvier 2002) et du meurtre (le 31 janvier 2002) de Daniel Pearl, ce journaliste du Wall Street Journal qui enquêtait sur les liens entre l'ISI et des groupes islamistes militants. Omar Saeed Sheikh (Wall Street Journal, 23 janvier 2003) et Khalid Shaikh Mohammed (Time, 26 janvier 2003) semblent être les responsables de cet enlèvement : l'ISI et Al-Qaïda. Le 5 février 2002, Sheikh, dont l'implication dans l'enlèvement de Daniel Pearl a été découverte par la police pakistanaise avec l'aide du FBI, se rend - secrètement - auprès son ancien chef à l'ISI (Boston Globe, 7 février 2002 ; Vanity Fair, août 2002). Durant une semaine, l'ISI retient Saeed, mais n'en informe pas la police pakistanaise ni personne d'autre (Newsweek, 11 mars 2002). Plus tard, Saeed refusera de parler de cette semaine, disant simplement : "Je connais des gens au gouvernement et ils me connaissent, ainsi que mon travail" (Vanity Fair, août 2002). Et lorsque le FBI voudra l'interroger sur ses liens avec l'ISI, il répondra : "Je ne parlerai pas de ce sujet. Je ne veux pas que ma famille se fasse tuer" (Newsweek, 13 mars 2002).

Paul Thompson remarque que, dans les mois qui suivent, au moins 12 articles occidentaux mentionnent les liens de Saeed avec Al-Qaïda, y compris son financement du 11-Septembre, au moins 16 mentionnent ses liens avec l'ISI. Mais seuls quelques-uns considèrent que Saeed a pu être lié aux deux groupes en même temps, et apparemment un seul indique qu'il a pu être impliqué à la fois dans l'ISI, Al-Qaïda et le financement du 11-Septembre (London Times, 21 avril 2002).

Un étrange marché

Autre élément troublant : alors que la guerre en Afghanistan se termine, fin novembre 2001, un couloir aérien est mis en place entre la ville assiégée (afghane) de Kunduz et le Pakistan, pour permettre la fuite des Pakistanais ayant combattu aux côtés des Taliban. Les avions pakistanais y volent régulièrement la nuit, et évacuent près de 5 000 combattants, parmi lesquels on trouve des milliers de membres d’Al-Qaïda et des Talibans (Seymour Hersh, The New Yorker, 23 janvier 2002). Preuve supplémentaire des rapports étroits entre Al-Qaïda et le Pakistan. Mais ces mouvements aériens ne peuvent pas se produire sans que les Etats-Unis en aient connaissance. Il semble que Pervez Musharraf ait demandé aux Américains l'autorisation de mettre en place ce couloir aérien et ait gagné leur soutien en leur disant que l'humiliation de la perte de centaines, voire de milliers de militaires et agents du renseignement pakistanais menacerait sa survie politique. Le gouvernement américain ne reconnaîtra pas cet accord (Département d'Etat, 16 novembre 2001 : Rumsfeld déclare au sujet des ces convois : "Si nous les voyons, nous les abattons"), pas plus que le pakistanais, selon lequel aucun de ses militaires ne se trouvait en Afghanistan. Le 1er décembre 2001, le colonel Ken Allard, commentateur militaire pour NBC, affirmera qu’il existe sans doute une sorte de marché entre le Pakistan et les Etats-Unis (voir 9/11 Press For Truth, 57e minute). Reste à savoir si le marché comporte la fuite des Taliban et des combattants d'Al-Qaïda, ou si cette dernière s'est produite accidentellement.

Interprétations

La connexion entre l'ISI et Al-Qaïda paraît avérée, et leur association dans l'exécution du 11-Septembre (avec d'autres sans doute). Mais que dire du silence américain sur cette connexion ? Comment expliquer la bienveillance des Etats-Unis avec leur curieux allié pakistanais ? Pourquoi s'obstiner à ne pas le sanctionner ? Deux pistes semblent envisageables. Soit les Etats-Unis soutiennent le Pakistan parce qu'ils sont complices de ses méfaits ; c'est l'hypothèse d'une ISI commandée par la CIA, ou, du moins, étroitement mêlée à elle. Soit les Etats-Unis (à peu près innocents) veulent défendre à tout prix leur allié stratégique au Moyen-Orient, malgré les forces hostiles - notamment au sein de l'ISI - qui le minent.

La première explication nous ramène à la première guerre d'Afghanistan (de décembre 1979 à février 1989) entre l'Union Soviétique et les Moudjahidine, rapidement rejoints par Oussama Ben Laden. Dans le contexte de la Guerre froide, les Etats-Unis, via la CIA, soutiennent massivement les Moudjahidine. Mais la CIA ne les finance pas directement, elle fait passer secrètement l'argent par l'ISI. Des milliards de dollars de la CIA et des Saoudiens sont ainsi crédités par l'ISI pour appuyer la guerre, et créer, au passage, Ben Laden et les racines de son réseau (pour approfondir, lisez Alexandre del Valle, Genèse et actualité de la "stratégie" pro-islamsite des Etats-Unis, 13 décembre 1998 - ou extraits - ; voir 9/11 Press For Truth, 58e minute). Certains supposent que cette manière de fonctionner subsiste encore aujourd'hui, autrement dit que le 11-Septembre aurait été commis par Al-Qaïda, outil de l'ISI, elle-même outil de la CIA. Cela reste à démontrer. On peut rétorquer, face à cette hypothèse, qu'en Afghanistan dans les années 80, les Etats-Unis et les islamistes avaient un ennemi commun, l'URSS. L'association était compréhensible. Mais aujourd'hui ? Quel pourrait être l'intérêt commun du Pakistan - ou de l'ISI - et des Etats-Unis ? La question est posée.

Seconde explication possible à cette attitude très courtoise des Américains à l'égard du principal vivier de terroristes au monde : les Etats-Unis doivent impérativement conserver le Pakistan parmi leurs alliés pour servir leurs objectifs stratégiques au Moyen-Orient, ils doivent donc le préserver de l'islamisme au pouvoir et, pour cela, ne pas le malmener, et choyer le "pro-Américain" Musharraf (sachant que tout autre dirigeant sera probablement pire pour eux). C'est la vision du journaliste Seymour Hersh : "L'administration Bush a engagé son prestige, et les Américains leur argent, derrière Musharraf, dans le pari - jusqu'ici réussi - qu'il continuera de tenir le Pakistan, et son arsenal nucléaire, loin du fondamentalisme. Le but est de stopper le terrorisme nucléaire, aussi bien que le terrorisme politique" (The New Yorker, 23 janvier 2002). Le Pakistan est un pays vulnérable, qui deviendrait une considérable menace si son armement nucléaire tombait aux mains des islamistes les plus radicaux. Ainsi donc, on préférerait étouffer l'affaire Mahmoud Ahmad, et, aussi incongrue soit cette décision, rallier le Pakistan à la coalition antiterroriste pour ne surtout pas le voir se retourner définitvement contre soi. Le rapport du Département d’Etat américain du 30 avril 2001, Modèles de terrorisme global, après avoir décrit le Pakistan comme un sponsor du terrorisme, spécifiait que le Pakistan était un cas épineux, dans la mesure où il aidait aussi les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Malgré son double jeu, on avait envie de lui donner toutes ses chances d’évoluer dans la bonne direction.

Stratégie

Comme l'écrit Bernard-Henri Lévy dans Qui a tué Daniel Pearl ?, "l’éventuelle responsabilité pakistanaise dans l’attentat du 11 septembre [...] reste le grand non-dit de l’Amérique de George Bush et Donald Rumsfeld : tenir pour […] une coresponsabilité de l’ISI dans l’attaque, n’équivaudrait-il pas à remettre en cause tout le bâti d’une politique étrangère qui, à l’époque déjà, faisait de l’Irak la figure même de l’ennemi et du Pakistan un pays allié ?". Le documentaire Ben Laden, les ratés d’une traque revient sur le double jeu pakistanais et nous éclaire sur l'intérêt stratégique que représente le Pakistan pour les Américains : "Le Pakistan est très important géopolitiquement pour les Américains, qui le voient comme une base arrière pour un scénario à venir dont l’Iran fait partie, avec son président. Mais surtout la Chine, qui est de plus en plus active dans la région" (Shabir Ahmad Khan, parlementaire pakistanais proche des Frères musulmans). Bien sûr, maintenant, il faudrait évoquer le pétrole et les futures guerres des ressources... et la volonté farouche des Américains de demeurer la seule super-puissance au XXIe siècle...

Le Pakistan n'est qu'un angle d'approche du 11-Septembre. Tout ne s'y réduit évidemment pas. Mais c'est un angle néanmoins crucial, trop souvent délaissé. De nombreux faits troublants et peu connus sont là, bien rapportés par quelques journalistes scrupuleux et courageux. Il reste à les interpréter, à saisir les intentions des uns et des autres. C'est le travail le plus décisif, mais aussi le plus incertain.