Le 27 septembre 2005, l’Échangeur et expertsconsulting ont lancé le club e². A cette occasion, une première matinée a été organisée sur le thème de l’irruption des blogs dans le monde de l’entreprise et sur leurs possibles usages. Parmi les intervenants, Pierre Bellanger, Président fondateur de Skyrock, a livré les fruits de son expérience en la matière.
Le club e² est né le mardi 27 septembre 2005 dans les locaux de l’Échangeur, dans le 3e arrondissement de Paris. Il s’agit de l’association de l’Échangeur et d’expertsconsulting : le premier, créé en 1997, est un centre de démonstration des pratiques innovantes de la relation client qui apporte aux entreprises une plate-forme de dialogue et de réflexion ; le second, créé en 1993, est un cabinet conseil en management, spécialisé en innovation, marque et prospective.
Le club e² s’adresse aux entreprises qui veulent comprendre comment les nouvelles générations de technologies engendrent de nouveaux usages sociaux et modifient les comportements des consommateurs, et qui souhaitent échanger sur ces questions avec d’autres entreprises. Six réunions par an sont prévues, chacune organisée autour d’un thème, à l’heure du petit-déjeuner.
Parole d’expert
Ce mardi, de 8 heures 30 à 11 heures, une première matinée, exceptionnellement ouverte à tous, était organisée. Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (FING), a commencé par mettre au niveau ceux qui n’étaient pas encore familiers avec l’univers de la blogosphère.
Il a rappelé qu’on estimait à plus de 60 millions le nombre de blogs dans le monde, à 4 millions en France, dont 3 millions de Skyblogs, et que cela constituait un phénomène de publication sans précédent. Il a aussi rappelé la facilité de leur publication, leur logique d’échange, de réseau, a mentionné leur standard de publication, RSS, qui permet la syndication ou republication de contenu, n’a pas oublié de parler du trackback, qui permet d’avoir connaissance de tous les blogs qui pointent vers tel ou tel billet publié sur tel blog.
Il a encore noté que le référendum sur le projet de constitution européenne avait constitué une date importante dans l’histoire du blogging, avec un "non" qui s’était nettement mieux structuré que le "oui".
Quelques difficultés posées par les blogs ont été mises en évidence : l’interpénétration de la communication publique et de la communication privée, l’accélération de la propagation des informations et aussi des rumeurs, ou encore la concurrence avec les médias, qui a pu être constatée récemment lors du passage de l’ouragan Katrina.
Concernant plus spécifiquement l’entreprise, M. Kaplan a distingué quatre types de blogs : les blogs "jetables", initiés à l’occasion de projets et qui ne durent que le temps de ces derniers ; les blogs de PDG ; les blogs de salariés, qui doivent se soumettre à certaines règles éthiques, notamment de confidentialité ; et les blogs syndicaux, avec le plus célèbre d’entre eux : Miroir syndical.
M. Kaplan a ensuite interrogé le rôle que les blogs pouvaient tenir dans les stratégies de marque. Le blog est avant tout un phénomène individuel, quoiqu’en réseau ; il suppose donc, pour les marques, l’acceptation d’une perte de contrôle du message, c’est-à-dire le fait que les internautes-consommateurs s’expriment librement ; il induit aussi le devoir, pour la marque, de laisser tomber le discours publicitaire officiel pour parler aux internautes sur le même ton que celui dont ils usent. Et ce, sur le principe, à prendre très au sérieux (sauf à être complètement discrédité) de la "conversation".
M. Kaplan a illustré son propos en revenant sur l’échec cuisant de Vichy ; cette marque avait inventé de toutes pièces une personne, dénommée Claire, qui était censée parler des produits Vichy. Le manque d’authenticité a été le révélateur de la supercherie. Nous n’avions, en fait, affaire là qu’à un site de "com", sans aucune valeur ajoutée réelle dans la communication.
Pour les marques qui ne souhaitent pas se lancer dans le blogging, mais aussi pour celles qui s’y engagent, M. Kaplan a fait remarquer qu’une bonne stratégie consistait à aller participer à d’autres blogs, ceux des principaux blogueurs qui parlent de la marque, consommateurs ou autres entreprises. L’effet d’une telle attitude peut se révéler "puissant".
L’empire Skyblogs
Suite à cette entrée en matière, c’est Pierre Bellanger, Président de Skyrock, qui, avec un indéniable talent oratoire, est venu faire partager son expérience des blogs, à travers ce phénomène unique au monde que constituent les Skyblogs. Le poids lourd des blogs en France a voulu faire preuve de modestie, précisant qu’il ne s’agissait pas, pour lui, de donner un cours magistral, qu’il était encore en train d’apprendre, usant de cette belle métaphore : "la voiture se construit en roulant".
Mais, dès ces premières précautions prises, il a aligné quelques chiffres pour le moins impressionnants : 2,93 millions de Skyblogs actifs à ce jour, 133 millions d’articles (le terme "articles" est peut-être un peu osé), près de 15 000 nouveaux Skyblogs créés chaque jour ! Skyrock, qui est le première radio française pour les 13-24 ans, est inconnue aux États-Unis (mise à part la sphère rap), mais les Skyblogs, eux, y sont connus. Comment expliquer un tel succès ? Et pourquoi ce succès n’a-t-il pas touché autant les autres radios ?
M. Bellanger a rappelé le contexte indispensable à avoir à l’esprit pour mieux comprendre le phénomène. Skyrock ne part pas, en effet, de rien. Il a une histoire, et celle-ci est marquée par une culture de la liberté d’expression. On a parlé, depuis longtemps, de radios libres, mais on a rarement parlé d’auditeurs libres – sauf sur Skyrock.
Le slogan de l’émission phare de la station, "Radio Libre", présentée par Difool, est à ce titre assez intéressant : "Total respect, zéro limite". Difool, l’ancien compère du Doc (sur Fun Radio), à l’origine du phénomène Skyblogs ? C’est bien possible, d’autant que son émission a rendu populaire un autre concept, très proche de ce qui peut se passer sur les blogs : la "Sky-solidarité", où chaque auditeur est appelé à venir aider un autre auditeur "en galère", en apportant sa propre expérience – et plus si affinité. Les blogs prolongent les pratiques qui existent déjà dans l’émission.
Les auditeurs, sur les blogs, finissent par se connaître les uns les autres. Reprenant la célèbre formule d’Andy Warhol, selon laquelle chacun aurait dans le futur son quart d’heure de gloire, M. Bellanger a souligné qu’avec les blogs, chacun était célèbre pour quinze personnes.
Mais au-delà de la célébrité, les blogs peuvent aussi constituer des outils d’émancipation, car, sur Internet, des tas de gens se posent les mêmes questions et peuvent s’entraider. Le XXe siècle aura été celui de la diffusion, d’un vers plusieurs ; le XXIe sera celui de la conversation, de plusieurs à plusieurs.
Ce passage du modèle de la diffusion au modèle de la conversation a d’ailleurs des implications fortes dans le domaine de la publicité, a renchéri M. Bellanger. Pour les marques, la communication ne peut plus être unilatérale. La publicité doit comporter à présent un volet conversationnel. Les consommateurs deviennent plus sensibles et réceptifs à ce que disent d’autres consommateurs que les marques elles-mêmes. C’est une véritable "netamorphose", selon l’expression de M. Bellanger. Les marques doivent désormais accepter la critique.
Pour conclure sur sa propre marque, Skyrock, Pierre Bellanger l’a définie, non plus (de manière vieillotte) comme "une radio qui a des auditeurs", mais bel et bien comme "des auditeurs qui ont une radio". C’est l’esprit blog, c’est l’esprit Skyrock. C’est l’esprit de notre temps.
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