14 juillet 2006

Zidane, et le monde s'arrête

Vendredi 14 juillet 2006. Pour la première fois depuis la fin de la Coupe du Monde le 9 juillet, Zidane est en train de sortir un peu de nos esprits, il commence à laisser tout doucement la place à d'autres sujets de préoccupations et de conversations. Car depuis la finale, et plus précisément la 110e minute du match marquée par le coup de boule de Zizou sur Materazzi et le carton rouge de l'arbitre, la France, voire le monde tout entier, ne parlent plus que de lui. Zidane a raté sa sortie, et pourtant il n'a jamais autant occupé les esprits.

Un coup de boule mémorable, des paroles mystérieuses

Les jugements ont été sévères envers le meneur de jeu français : IMPARDONNABLE, INEXCUSABLE, a-t-on pu lire sous la plume des journalistes de l'Europe entière. Les Français ont pourtant, dans leur majorité, déjà pardonné à leur Zizou national. Car ils l'aiment. Les interviews de Michel Denisot sur Canal+ et de Claire Chazal sur TF1, mercredi 12 juillet, ont constitué un événement majeur pour des millions d'aficionados suspendus aux lèvres de leur idole, attentifs à ses premières paroles depuis la finale, impatients de connaître les horribles mots que le vilain Materazzi avait bien pu lui adresser pour susciter une telle réaction de violence.

Qu'a pu dire Materazzi à Zidane ? Telle fut sans doute la question la plus brûlante que s'est posé le monde entier ces derniers jours, malgré les drames qui ravageaient dans le même temps Bombay et le Proche-Orient. Des spécialistes de la lecture labiale (sur les lèvres), de l'Angleterre au Brésil, ont même donné leurs versions des faits. "On sait tous que tu es le fils d'une pute terroriste" : telle aurait été la phrase qui aurait fait disjoncter le Français, selon certains experts.

Zidane aura pourtant nié toute connotation raciste dans l'insulte du défenseur italien, se contentant de dire qu'elle concernait sa mère et sa soeur, qu'elle était "très grave" et le touchait au plus profond de lui-même. Materazzi, de son côté, a nié avoir utilisé le terme de "terroriste", arguant son inculture : eh oui, Marco Materazzi vit sur une autre planète, il ne sait pas ce qu'est un terroriste islamiste... Il a aussi nié avoir insulté la maman de Zidane, ajoutant que, pour lui, la mère était sacrée ; il n'a pas nié, en revanche, avoir insulté la soeur de Zidane, sans doute moins sacrée à ses yeux...

Le 20 juillet, Zidane et Materazzi se retrouveront devant les enquêteurs de la FIFA pour confronter leurs versions. Des sanctions seront prises : amendes et matchs de suspension vraisemblablement (punition symbolique et sans conséquence pour le jeune retraité Zidane). Zidane perdra en outre, très probablement, son titre de Meilleur Joueur de la Coupe du Monde. Dommage, car il est amplement mérité.

Le Roi Soleil

Avec cette "affaire Zidane", on en aurait presque oublié que l'Italie a gagné la Coupe du Monde. Il n'est pas très exagéré de dire que l'Italie a été oubliée avant même d'être sacrée ; au moment même où Zidane a commis l'irréparable, à la 110e minute du match, il a pris toute la place dans les esprits des amateurs de football. Il n'y a guère qu'en Italie que l'Italie championne du monde intéresse les gens. Partout ailleurs, on en reste à Zidane. Même pas à la France, non, à Zidane. Comment expliquer cela, comment rendre compte d'une telle aura ?

D'abord, Zidane est le plus grand joueur de foot des 10 dernières années. Il est le Maître du sport le plus planétaire, de l'activité humaine qui suscite le plus de passion, il est le Dieu de la religion la plus puissante du monde : le football. Ce n'est pas rien. Il a même déjà acquis sa place dans le Panthéon des dieux du foot, un Panthéon dominé par deux rois - Pelé et Maradona - et dont la cour comporte une poignée de seigneurs nommés Cruyff, Beckenbauer, Di Stefano et Platini, et une ribambelle de princes : Puskas, Garrincha, Eusébio, Van Basten, Baggio, Ronaldo, Ronaldinho... L'enjeu de la finale, c'était de faire rentrer Zidane dans le sommet de cette hiérarchie, d'en faire le 3e roi, ni plus, ni moins. Beaucoup considèrent que cette intronisation a échoué et qu'il devra se contenter du rang de seigneur. D'autres, idolâtres jusqu'au bout, l'ont canonisé malgré tout, saint parmi les saints et roi parmi les rois.

Modèle malgré lui

Ensuite, Zidane, c'est un comportement fait d'humilité, un talent presque entièrement dévoué à l'équipe, une certaine timidité. C'est un engagement dans des causes bonnes. C'est une gentillesse. C'est une image idéale pour tous les publicitaires : avec Zidane, ils ont le véhicule parfait des valeurs les plus nobles et les plus vendeuses. Zidane, c'est un symbole, celui de l'enfant d'immigrés algériens des quartiers nord de Marseille qui réussit, s'intègre et devient le modèle à suivre pour toute une génération "black-blanc-beur".

Les médias se sont aujourd'hui largement désolidarisés de ce slogan qu'ils avaient eux-mêmes inventé, après notamment les émeutes de banlieues de l'automne dernier. Zidane, lui, accepte sans sourciller ce rôle d'exemple qu'on lui a collé sur le dos. Au milieu des démagogues politiques et médiatiques, qui profitent d'une situation, celle d'une victoire rassembleuse en 1998, avant de la dénigrer lorsqu'ils s'aperçoivent qu'elle ne peut plus les aider dans leurs desseins personnels, eh bien lui, Zidane, demeure comme un phare lumineux auquel chaque jeune peut se raccrocher pour avancer, malgré la conscience qu'il a des innombrables difficultés que comporte la réalité. La lumière est lointaine et même presque irréelle, mais néanmoins d'une puissance inouïe.

Zidane a un avantage énorme sur la plupart des hommes qui aspirent au pouvoir, qui aspirent à exercer une influence sur les autres : celui d'être aimé et respecté. Son coup de sang, finalement, n'entache pas son image, d'autant qu'il l'assume avec honnêteté. Il s'excuse auprès des enfants qui l'ont regardé faire ce geste qui n'est pas "digne" (selon ses propres termes), mais il ne le regrette pas, car l'homme Zidane ne peut pas supporter certaines atteintes à sa conscience, sa réaction dût-elle le priver d'un titre honorifique. La conscience prime. Et personne ne doute au fond que la conscience de ce bonhomme-là soit bonne, avec les imperfections inhérentes, bien sûr, à n'importe quelle conscience humaine.

Héros des temps modernes

Zidane est un homme comme les autres, d'un certain point de vue. D'un autre point de vue, il est un mythe vivant. C'est un constat objectif, compte tenu des réactions mondiales qu'il suscite. Les qualificatifs qui lui sont souvent accolés, "Dieu", "demi-dieu", "héros" ("héros de tragédie" en l'occurrence, le jour de la finale), "mythe", "légende", même s'ils sont risibles pour l'homme sensé, ou tout bêtement pour l'homme qui n'est pas sensible au football, ne doivent pas pour autant être pris à la légère. Ils nous renseignent sur l'Homme et sur nous-mêmes. Sur son besoin de déifier, d'admirer. De vivre par procuration des choses exceptionnelles. Grandioses.

Dans un Mondial, où ce sont des équipes nationales qui s'affrontent, les joueurs sont nos représentants. Nous allons être nous-mêmes valorisés ou, au contraire, dévalorisés par leurs performances. "On est les champions !", "On a gagné !", s'exclame ce supporter affalé dans son canapé, une bière à la main, ou cet autre, aux joues peintes en bleu blanc rouge, braillant devant un écran géant en brandissant des drapeaux, à des centaines voire des milliers de kilomètres du lieu du match. C'est bel et bien soi-même qui est en jeu. Les joueurs de l'équipe de football ont la mission de rendre leurs compatriotes heureux et fiers d'eux-mêmes.

Une équipe qui avance dans la compétition, qui se rapproche de la plus haute marche, ne fait plus seulement du sport, elle fait... de la politique ? Pas vraiment. Elle fait de la mystique. Elle transforme, certes brièvement, un groupe humain disparate en un groupe uni, un corps. Elle provoque une joie totale chez l'individu, qui se sent en communion avec l'absolu. Pensons à Thierry Roland, le 12 juillet 1998, qui déclarait : "Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, le plus tard possible, mais on peut." Nul doute qu'il pensait ce qu'il disait à la minute où il l'a dit. Et beaucoup auraient pu dire, au même moment, la même chose. Nous sentions avoir atteint un sommet, un pic de bonheur, un absolu. D'où la reconnaissance éternelle dont jouit Zidane, lui qui nous a offert ce moment-là, cette joie suprême.

La Nation vive

Un Mondial de foot, c'est encore l'occasion de constater la vie puissante qui anime l'idée de Nation. Cela faisait longtemps que les drapeaux nationaux et les hymnes n'avaient eu autant la cote. A l'heure où l'Europe est censée développer son idée et enterrer petit à petit les nations qui la composent, à l'heure où d'aucuns rêvent d'un gouvernement mondial, de fusion planétaire, ce sont ces petites entités que sont les nations qui s'affirment avec force. On a bien entendu quelques idéalistes peu férus de football dire qu'ils apprécieraient autant une victoire de la France qu'une victoire de l'Allemagne ou qu'une victoire italienne, voire même, puisque nous sommes tous frères, une victoire de l'Argentine ou du Ghana. Force est de constater qu'ils sont une infime minorité. La fibre nationale est bel et bien vivante. Que ça nous plaise ou non. Nous pourrions bien aimer être libérés de ce lien-là, de cette identité-là, nous devons constater que nous ne le sommes pas, pour la très grande majorité d'entre nous Terriens.

Peut-être un jour les hommes se définieront-ils simplement comme Terriens (peut-être le jour où il faudra quitter la planète pour coloniser d'autres terres, à travers l'espace immense). Peut-être un jour les couleurs de peaux et les origines auront été oubliées et ne compteront plus pour rien. Peut-être un jour aurons-nous tous une même culture commune et une langue unique. Ce jour, les nations auront cessé d'exister, car elles ne correspondront plus à l'homme nouveau, qui se raccrochera à d'autres identités. Mais aujourd'hui encore, nous sommes au plus profond de nous-mêmes Français, Italiens, Brésiliens, Iraniens, Ivoiriens, Coréens... Nous sommes encore pétris de ces différences-là, de langues, d'histoires, de cultures. Ces différences ont leur mauvais côté, leur côté belliqueux, que beaucoup d'hommes de bonne volonté s'efforcent de tempérer.

L'appartenance à une nation est encore la plus puissante de toutes les appartenances, concurrencée parfois par l'appartenance religieuse. La première est rationnelle (elle nous unit par son côté pratique, utile), la seconde est irrationnelle (elle unit par la croyance en une Révélation, en un au-delà). Un match de Coupe du Monde dote notre appartenance nationale d'une dimension religieuse. Une manière, en cas de victoire, de se sentir le Peuple élu. Et le joueur qui nous permet de ressentir cela sera appelé "Sauveur", "Messie", "Jésus", ou plus prosaïquement "Zorro". Autant de surnoms attribués à Zidane.

Montaigne, Pascal, Zidane

Sur notre Terre qui n'a jamais été aussi peuplée, où tout événement est retransmis pratiquement partout, et où le football est roi, Zinédine Zidane est probablement l'homme le plus connu du monde (avec une poignée de chefs d'Etat et d'artistes) et l'un des plus connus de toute l'histoire humaine. Pas étonnant donc qu'un carton rouge à 10 minutes d'une fin de carrière éblouissante ait pu susciter autant de passion et prendre autant de place dans nos têtes, comme si le reste du monde avait cessé d'exister.

"Vanité des vanités, tout est vanité". L'homme est vain, plein de vent et de vide. Etre de divertissement, avaient dit Pascal et, avant lui, Montaigne. Pour ne pas penser à sa condition désespérante de mortel, l'homme se divertit. A la chasse, à la cour, au jeu, disaient déjà nos philosophes. Au football, ajouterons-nous aujourd'hui. Le divertissement est l'activité première de l'homme. Et le football le premier divertissement (ou le deuxième, après le sexe), pour les mâles du monde entier. Et Zidane le centre de ce divertissement. Autant dire qu'il était, jusqu'à ces tout derniers jours, le centre du monde.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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