Le 11-Septembre indien : c’est ainsi qu’ont été largement qualifiés dans la presse mondiale les attentats de Bombay du 26 novembre 2008. Selon Times Now, le seul des dix terroristes capturé vivant, un jeune homme de 21 ans nommé Azam Amir Kasav, a déclaré lui-même aux enquêteurs que le but de l’opération était de détruire les hôtels Taj Mahal et Trident-Oberoi, sur le modèle des destructions du 11-Septembre à New York. Il s’agissait de réduire en poussière les symboles de la puissance économique indienne, à la manière dont avaient été pulvérisées les tours du World Trade Center. Les terroristes avaient-ils apporté suffisamment d’explosifs pour parvenir à leurs fins ? Les avis divergent à ce sujet (oui pour le Washington Times, non pour The Hindu). Le ministre indien de l’Intérieur, Shivraj Patil, a déclaré samedi que les terroristes avaient planifié de tuer quelque 5.000 personnes. A ce jour, le bilan s’élève à 172 morts.
Symboles. Le parallèle entre les attentats de New York et ceux de Bombay est tentant : dans Le Figaro du 29 novembre, Pierre Rousselin écrit que "c’est parce qu’on l’appelle « la New York de l’Inde » que Bombay a été visée par les terribles attentats de mercredi soir." Dans les deux cas, ce sont en effet les symboles de la puissance financière des deux pays (les deux plus grandes démocraties du monde) qui ont été visés.
Attaques synchronisées. Une dizaine d’objectifs étaient ciblés à Bombay (hôtels, gare, etc.), quatre aux Etats-Unis en 2001 ; une douzaine étaient déjà envisagés dans l’opération Bojinka, ébauche du 11-Septembre, déjouée in extremis à Manille, aux Philippines, en 1995 (Le Figaro, Die Welt, CNN). En 2008 comme en 2001, nous avons affaire à des attaques multiples soigneusement coordonnées. Le mode opératoire fait spontanément penser à Al-Qaïda : "Les multiples attaques simultanées d’hôtels et d’autres lieux fréquentés par des étrangers, principalement des Américains, des Britanniques, des Français et des Israéliens, portent la marque d’al-Qaida, écrit Pierre Rousselin. On ignore qui a commandité le carnage, mais les cibles choisies et la façon d’opérer prouvent que l’organisation terroriste internationale a au moins inspiré les auteurs du massacre." Même si Al-Qaïda ne semble plus, à l’heure qu’il est, responsable de ces attentats, leurs auteurs se seraient inspirés de leur modus operandi, quitte à s’octroyer quelques libertés, à se permettre des innovations.
Spectaculaire. Comme en 2001, il s’agissait de mener l’action la plus spectaculaire possible : "La tactique des terroristes, de même que le choix des cibles, luxueuses et fréquentées par des étrangers, révèle (...) une volonté de donner un caractère spectaculaire à leurs attentats", écrit Isabelle Lasserre dans Le Figaro. "Les groupes de Bombay cherchaient avant tout à faire entendre leur cause, soutient Dominique Thomas, spécialiste d’Al-Qaïda à l’École des hautes études en sciences sociales. Le fait de cibler des Occidentaux leur donne une grande visibilité médiatique. S’ils avaient agi de manière plus classique, en ciblant uniquement des Indiens, on n’en aurait presque pas parlé." Signalons cependant que, selon Rattan Keswani, le président de l’hôtel Trident-Oberoi, les terroristes n’auraient pas, contrairement à ce qui a été dit, "sélectionné" et "retenu à part" les personnes possédant un passeport américain ou britannique.
Avertissements. Comme les autorités américaines avant le 11-Septembre, celles d’Inde avaient reçu des avertissements qui n’ont pas suffi à empêcher les attentats : "Selon certaines sources, rapporte France24, les services de renseignement indiens auraient fait circuler, la semaine dernière, un rapport confidentiel concernant un projet d’attentat qui devait être lancé par la mer." Une différence de taille tout de même : alors qu’aucun dirigeant américain n’a démissionné suite aux attaques sur New York et Washington, les démissions se succèdent en Inde dimanche 30 novembre, avec celles du ministre de l’Intérieur, Shivraj Patil, et du conseiller à la sécurité nationale, M. K. Narayanan (le Condoleezza Rice indien).
Missions de reconnaissance. Ouest-France rapporte que "huit des extrémistes islamistes s’étaient infiltrés dans la ville un mois plus tôt. Les militants islamistes, se faisant passer pour des étudiants, ont mené "des missions de reconnaissance en prélude aux attaques" (...). D’autres militants auraient également stocké des armes et des munitions, notamment dans un des hôtels de luxe ciblés par les attaques. Cette première équipe a été rejointe mercredi soir par un second groupe qui est arrivé à Bombay par la mer..." C’est, à une échelle plus réduite, ce qui s’est produit pour le 11-Septembre. Une première vague de terroristes s’était introduite aux Etats-Unis plus d’un an avant les attentats, avant d’être rejointe, bien plus tard, par la seconde. Des missions de reconnaissance avaient également eu lieu, notamment auprès de "bâtiments fédéraux à New York", comme le précisait le PDB du 6 août 2001, transmis par la CIA à George W. Bush. Il semble même que les terroristes soient venus repérer le World Trade Center : William Rodriguez, qui y était gardien, rapporte en effet avoir aperçu en juin 2001 Mohand Alshehri, futur kamikaze sur le vol 175, qui frappera la Tour Sud. Alsheri lui aurait demandé combien il y avait de toilettes au niveau du hall.
Héros. On peut aussi relever la disparition, dans les attentats de 2001 et 2008, de deux figures majeures de l’anti-terrorisme : côté américain, John O’Neill, chef du contre-terrorisme au FBI, et, côté indien, Hemant Karkare, chef de la police anti-terroriste de Bombay, tué lors des fusillades. Tandis que John O’Neill avait démissionné de son poste, le 22 août 2001, pour protester contre les obstructions répétées à ses enquêtes sur Ben Laden venant de la Maison Blanche (avant d’être nommé chef de la sécurité du World Trade Center, où il trouva la mort), Hemant Karkare "travaillait ces derniers temps sous la pression des partis conservateurs hindous, en raison des enquêtes qu’il menait contre une cellule terroriste hindoue, suspectée d’être impliquée dans des explosions ayant frappé, en 2006, une petite ville, Malegaon, située non loin de Bombay."
Plus ou moins anecdotiques, ces ressemblances sont frappantes.
Les terroristes. A la différence de 2001, ce n’est pas Al-Qaïda qui semble avoir exécuté l’opération, mais le groupe du Lashkar-e-Taiba, "l’Armée des Purs" (qui appartient néanmoins à sa "nébuleuse"), l’un des mouvements islamistes clandestins pakistanais qui luttent contre l’« occupation » indienne du Cachemire et les persécutions qu’y subirait la minorité musulmane. Le seul terroriste rescapé de Bombay, Ajmal Amir Kamal (ou Azam Amir Kasav), aurait lui-même indiqué aux enquêteurs que les assaillants étaient tous des Pakistanais entraînés par le Lashkar-e-Taiba. "Savez-vous combien de personnes ont été tuées au Cachemire ?", avait d’ailleurs demandé l’un des assaillants, peu avant de mourir, à une chaîne de télévision qui l’avait contacté par téléphone alors qu’il occupait un centre religieux juif.
Comme le rappelle La Croix, "l’Inde tenait déjà le Lashkar pour responsable de nombreux attentats perpétrés sur son sol. La liste est longue : attentats à la bombe à New Delhi en octobre 2005 (62 morts), à Varanasi (Bénarès) en mars 2006 (21 morts), ou encore à Bombay en juillet 2006 (186 morts) et en août 2003 (55 morts). À cela s’ajoute l’audacieuse attaque du Parlement à New Delhi, perpétrée en décembre 2001 par un groupe d’hommes armés. L’incident avait poussé l’Inde et le Pakistan vers les prémices d’une quatrième guerre fratricide, les deux pays massant alors près d’un million de soldats le long de leur frontière commune." Interdit au Pakistan en 2002 sous la pression des Etats-Unis, le Lashkar est réapparu sous le nom du Jamaat-ud-Dawa. Ce groupe a nié toute implication dans les attentats de Bombay.
Le soutien de l’ISI. Les islamistes du Jaish e-Mohammed sont également soupçonnés. Mais quel que soit le responsable exact, tous ces groupes terroristes ont la particularité d’être fortement appuyés par les services secrets militaires pakistanais, l’Inter Service Intelligence (ISI). Longtemps, c’est l’ISI qui a géré leurs camps d’entraînement en Afghanistan, qu’ils partageaient d’ailleurs avec Al-Qaïda. "Tout comme Al Qaïda, le L-e-T puise son inspiration chez les wahabbites, une secte radicale apparue dans la péninsule arabique, indique L’Express. Bien organisé et bien financé, le L-e-T est l’une des organisations qui ont été les plus manipulées par l’ISI par le passé, selon certains spécialistes des questions de sécurité". D’ailleurs, "si le LeT est impliqué, alors les services pakistanais le sont aussi", affirme sans hésiter Ajai Sahni, expert en terrorisme à l’Institut pour la gestion des conflits de New Delhi.
Quelle que soit aujourd’hui la volonté du nouveau président pakistanais, Ali Asif Zardari, qui semble vouloir rompre avec la duplicité de son prédécesseur Pervez Musharraf et qui oeuvre en faveur d’un rapprochement avec l’Inde, des soutiens aux groupes terroristes existent toujours au sein des services militaires, qui constituent au Pakistan un "Etat dans l’Etat". "Tels des mini-féodalités, il y a des acteurs qui défient l’Etat et menacent les décisions du gouvernement", écrivait vendredi, le chroniqueur Aneela Babar dans le quotidien pakistanais Dawn.
Cachemire : la clé. "Islamabad parviendra-t-il à purger ces "mini-féodalités" ?, se demande Frédéric Bobin dans Le Monde. C’est tout l’enjeu de la lutte contre le terrorisme régional, mais aussi international, qui prend sa source dans les eaux troubles du Pakistan". Et d’expliquer le noeud géopolitique du problème : "La grande difficulté pour les nouveaux dirigeants pakistanais est de redéfinir la doctrine stratégique qui a historiquement tissé la connexion entre l’ISI et les groupes islamistes. Au cœur de cette vision des intérêts supérieurs de l’Etat pakistanais, il y a l’idée que l’Afghanistan doit être "finlandisé" pour offrir une "profondeur stratégique" en cas de conflit avec l’Inde. La fabrication du mouvement des talibans - des Pachtounes chargés d’arrimer Kaboul dans l’orbite pakistanaise - a obéi à cet impératif".
La solution ne peut passer que par un apaisement des relations indo-pakistanaises, et la résolution du conflit au Cachemire : "Résolu à recentrer le combat antiterroriste sur l’Afghanistan, et non plus sur l’Irak, Barack Obama a compris qu’il n’y parviendrait pas sans désamorcer parallèlement l’inquiétude stratégique pakistanaise. En d’autres termes, il faut réconcilier l’Inde et le Pakistan, en réglant par exemple la question du Cachemire, pour en finir avec la politique afghane d’Islamabad et son cortège de groupes islamistes supplétifs, ceux-là mêmes qui cherchent ensuite à "sanctuariser" les zones tribales pachtounes. Ce basculement, voulu par M. Obama, est un défi lancé à ces groupes. Les inspirateurs de l’assaut de Bombay, en réveillant l’animosité entre l’Inde et le Pakistan, pourraient chercher à saboter ce nouveau cours".
Coïncidence. Dimanche 23 novembre, trois jours à peine avant les attentats, le gouvernement du premier ministre Yousuf Raza Gilani avait annoncé le démantèlement de la "branche politique" de l’ISI. En clair, les services secrets militaires pakistanais devenaient officiellement interdits d’ingérence dans la vie politique intérieure. Jusqu’ici habitués à faire et défaire les gouvernements, à pourchasser les opposants et truquer les élections, ils devront désormais cantonner leur action à la lutte anti-terroriste et aux périls extérieurs. La décision ne fait évidemment pas l’unanimité. "L’ISI, relève La Croix, serait actuellement divisé entre ceux qui estiment qu’il faut mettre un terme aux activités des militants islamistes et ceux qui veulent continuer à les financer." D’ailleurs, en juillet, le gouvernement avait déjà tenté, en vain, de détacher l’ISI du contrôle de l’armée pakistanaise pour le placer sous celui du ministère de l’intérieur. Récemment interrogé par France 24, l’ancien directeur de l’ISI, le général Hamid Gul, soutien indéfectible de Ben Laden et des Taliban, a affiché son doute quant à l’effectivité de cette réforme.
La proximité temporelle entre la décision de dissoudre la branche politique de l’ISI et les attentats de Bombay fait se demander à Isabelle Lasserre si l’on ne peut pas "imaginer que l’aile radicale et islamiste de l’ISI ait soutenu les attentats pour protester contre la réforme des services de renseignements et la politique d’Islamabad". De même, Roland Jacquard, directeur de l’Observatoire international du terrorisme, remarque que "quelques jours avant ces attentats, le président Zardari annonçait une réforme de l’ISI. C’est cette coïncidence qui frappe. Il avait aussi fait plusieurs gestes d’apaisement comme s’il avait eu un mauvais pressentiment. Sachant qu’il ne contrôlait pas la situation, il a peut-être voulu envoyer un message à l’Inde. Je ne crois pas à une implication directe du gouvernement pakistanais, mais on ne peut exclure l’action d’une branche extrémiste de l’ISI."
Mahmood Ahmed. Jamais peut-être l’ISI n’a été aussi ouvertement montré du doigt pour sa probable implication, directe ou indirecte, dans des actes terroristes. Alors que nombre de journaux ont titré sur le "11-Septembre indien", on aurait pu s’attendre à ce que soit abordée la principale ressemblance entre les attentats américains et indiens, à savoir le rôle qu’y joua vraisemblablement l’ISI... Mais non, aucun média n’a rouvert ce dossier. Bombay 2008 nous ramenait à New York 2001, mais l’on freina pour aller au bout de la comparaison.
Pour rappel, les services secrets indiens avaient transmis, début octobre 2001, des informations qui révélaient l’implication financière du directeur de l’ISI, Mahmood Ahmed (ou Mahmoud Ahmad), dans la préparation des attentats du 11-Septembre. Le directeur du FBI Robert Mueller avait effectué spécialement le voyage jusqu’à Dehli pour recueillir lui-même tous les éléments. Le 9 octobre, deux jours après le début de la guerre en Afghanistan et le renvoi d’Ahmed de son poste de directeur de l’ISI, le Times of India rapportait : "Des sources au plus haut niveau confirment que le général a perdu son poste en raison des évidences produites par l’Inde et montrant ses liens avec un des kamikazes qui ont détruit le World Trade Center. Les autorités américaines ont exigé son renvoi après la confirmation du fait que 100.000 dollars avaient été transférés du Pakistan au pirate de l’air, Mohamed Atta, par l’intermédiaire de Omar Sheikh, à la demande du général Mahmood Ahmed. Des sources gouvernementales importantes confirment que l’Inde a contribué de manière significative à établir le lien entre l’argent transféré et le rôle joué par le chef démissionnaire de l’ISI. Bien qu’ils ne fournissent pas de détails [ces sources] affirment que les données fournies par l’Inde, notamment le numéro de téléphone du mobile d’Omar Sheikh, ont aidé le FBI à remonter et à établir le lien" (voir aussi Wall Street Journal, Daily Excelsior, London Times, Guardian).
La vérité, le silence et l’oubli. Eric Laurent, dans La face cachée du 11-Septembre (éd. Plon, Pocket, 2004, p. 215-216), constate que "ces révélations suggérant que l’ISI ou même le régime pakistanais pouvaient être impliqués dans les attentats du 11 septembre ne firent l’objet d’aucun commentaire, pas plus à la Maison Blanche qu’au Pentagone ou au Département d’Etat. Comme s’il s’agissait pour l’administration Bush de murer toutes les pistes pouvant remonter jusqu’à la vérité".
Et le grand reporter de ponctuer son enquête par une réflexion sur le silence et l’oubli : "Le silence est une arme redoutable pour étouffer ou tuer la vérité. Et il possède un allié aussi efficacement pervers que lui : l’oubli. Je ne sais pas si "derrière toute grande fortune, comme le disait Bossuet et non Balzac, il y a un grand crime", mais j’ai pu constater que derrière tout grand crime commis il y a le silence et l’oubli. Les crimes du 11 septembre et les mystères qui les entourent en sont l’illustration. C’est le silence justement qui entoure désormais l’ancien directeur déchu de l’ISI, le général Mahmood. Il a été nommé à la tête d’une grande entreprise publique, ce qui démontre que sa disgrâce est relative, mais il reste muet". Assigné à résidence suite à son renvoi de l’ISI en octobre 2001, Mahmood Ahmed n’est réapparu que le 30 avril 2003, à la tête de la Fauji Fertilizer Company.
Pepe Escobar, dans un excellent article de l’Asia Times, daté du 8 avril 2004, suggérait qu’Ahmed était le "real smoking gun" du 11-Septembre, l’indice flagrant que cherchaient désespérément les enquêteurs, sans oser le voir... tant les conséquences de cette découverte pourraient s’avérer embarrassantes. Car il faudrait alors se demander si Musharraf, d’une part, et l’élite du renseignement américain, d’autre part, pouvaient raisonnablement ignorer le lien entre Ahmed et Atta.
Suspicions. Assassinat de Massoud, financement, voire organisation du 11-Septembre, attentat manqué de Richard Reid (l’homme aux chaussures piégées), assassinat de Daniel Pearl (qui enquêtait notamment sur des militants pakistanais liés à l’ISI), multiples attentats en Inde, attentat-suicide du 7 juillet 2008 contre l’ambassade indienne à Kaboul, assassinat de Benazir Bhutto... L’ISI est suspecté, à tort ou à raison, dans de très nombreux crimes de grande envergure. Il fut donc immédiatement pointé du doigt par l’Inde suite aux attentats sanglants de Bombay.
L’envoi à New Dehli de son directeur, le général Shuja Pasha, pour assister les services de sécurité indienne, devait servir à prouver la bonne foi pakistanaise et à calmer les tensions. Le geste aurait été "sans précédent". Proposé, vendredi 28 novembre, par le premier ministre indien Manmohan Singh, accepté par son homologue pakistanais, Youssouf Reza Gilaniéci, il fut finalement annulé, suite à des protestations au Pakistan, notamment de la part de l’ancien chef de l’ISI Hamid Gul, selon lequel le projet de visite s’apparentait à une "convocation" de la part des Indiens. A défaut du chef, un "représentant" de l’ISI se déplacera néanmoins à New Delhi pour aider à l’enquête.
Lumières dans le miroir. Le "11-Septembre indien" constitue une occasion de revenir sur le "11-Septembre américain", et sur leur principal point commun : le possible rôle central de l’ISI. Ignoré au lendemain du 11 septembre 2001, passé inexplicablement sous silence, le jeu trouble de l’ISI est mis, ces derniers jours, sous la lumière crue des projecteurs médiatiques. Ces lumières oseront-elles aller jusque dans la cellule pakistanaise où croupit, depuis février 2002, Omar Saeed Sheikh, personnage charnière entre Al-Qaïda, l’ISI et le 11-Septembre, condamné à mort pour le meurtre de Daniel Pearl, mais toujours bien vivant depuis bientôt sept ans, et dont Musharraf avait dit, songeant à tous les secrets qu’il détient : "Je préférerais le pendre moi-même plutôt que de l’extrader" (E. Laurent, p. 225) ? Iront-elles chercher le regard et la voix de Mahmood Ahmed, qui auraient tant de choses à nous dire ? Le silence de ces deux hommes vaut de l’or.
Certains ont préféré aller "harceler" Joe Biden, le futur vice-président américain, qui, en tant que chef du comité des relations extérieures du Sénat, avait discuté avec Ahmed le 13 septembre 2001, durant la longue visite du chef de l’ISI à Washington, du 4 au 13 septembre, et qui demeure, à bien des égards, mystérieuse. Réponse finale de Biden : "Confidentiel". Il se pourrait que ce soit là le fin mot de l’histoire, au moins pour les 20 ou 30 prochaines années.
ancien ministre britannique au sujet du rôle de l’ISI
dans le 11-Septembre (sous-titré en français)
Le mal. Pour conclure, j’aimerais citer la réaction d’Ivan Rioufol, du Figaro, aux attentats de Bombay : "C’est naturellement le profil nouveau des assaillants, des adolescents selon de nombreux témoignages, qui frappe en premier lieu. Leur fanatisme meurtrier vient rappeler cette prophétie de Jérémie (je cite de mémoire) : "Ils détruiront tout. Ce qu’ils ne connaissent pas ils le briseront, ils le saliront. De notre temps, il ne restera que des ruines". Bien que le politiquement correct se refuse à parler de choc des cultures ou des civilisations, c’est bien son expression la plus nihiliste qui s’exprime à nouveau dans ces attentats perpétrés au nom du jihad contre l’Occident et contre la démocratie indienne. Mais il y aura encore des belles âmes qui tenteront de les justifier en plaidant l’humiliation des déshérités".
Cette vision des événements, qui en appelle aux prophéties bibliques, serait presque rassurante : les méchants seraient des fous, des illuminés sans pensée, presque des démons, hors humanité. Peut-être. Mais le plus effrayant dans le mal, ou ce que nous appelons tel, ce pourrait bien être plutôt qu’il soit parfaitement compréhensible et même, d’un certain point de vue, justifiable. Une telle compréhension - vertigineuse - n’empêcherait évidemment pas de combattre. Elle éviterait seulement les visions passionnément manichéennes qui attisent les haines de toutes parts.
On sait que l’un des terroristes avait déclaré à India TV : "Nous demandons la libération de tous les Moudjahidine détenus en Inde... et les musulmans vivant en Inde ne doivent pas être importunés". En Inde, les musulmans, "en général très pacifiques", sont en effet confrontés depuis quinze ans à la montée en puissance du nationalisme hindou, et à des attentats meurtriers, sans que l’Etat n’arrête les responsables. En 2002, des pogroms antimusulmans ont ainsi fait plus de 2.000 morts dans l’Etat du Gujarat, dont le gouvernement, dirigé par le Parti du peuple indien (BJP), est même accusé d’être à l’origine. Ces massacres avaient eu pour déclencheur l’incendie d’un train transportant des militants hindous qui revenaient de la ville d’Ayodhya, où ils étaient aller réclamer l’édification d’un temple sur le site d’une mosquée du XVIe siècle rasée par des extrémistes hindous dix ans plus tôt, le 6 décembre 1992. 58 Hindous avaient péri dans l’incendie. Cercle infernal de la violence, succession de causes et d’effets dont on ne trouvera jamais le premier moteur.
Et maintenant. Les tensions interconfessionnelles, déjà fortes, vont sans doute redoubler désormais, après le drame de Bombay, et nul doute que les nationalistes hindous du BJP en profiteront à l’occasion des élections générales qui auront lieu dans à peine six mois en Inde. Curiosité : "La principale revendication du BJP est une loi d’exception sur le modèle de celle qu’il avait fait voter quand il était au pouvoir entre 1998 et 2004. Cette loi était une sorte de "Patriot Act" à l’indienne, indique Christophe Jaffrelot, directeur du centre d’études et de recherche internationale de Sciences Po. Le Parti du Congrès l’avait abrogée avec raison quand il est arrivé au pouvoir, parce que des musulmans avait été arrêtés de façon aveugle et s’étaient retrouvés privés de droit civique." Décidément, ce "11-Septembre indien" pourrait avoir encore plus de similitudes qu’on ne pense avec son modèle américain.